Cette édition 2013 de la Mostra a été marquée par des préoccupations plus sombres les unes que les autres, et qui aura donc fait une part peu importante aux comédies. Sur un Lido réaménagé avec intelligence pour le plaisir et l'utilité des festivaliers (une multitude de terrasses et bars, dont l'une devant le Casino, ouverte sur la mer), les producteurs et stars ont donc défilé, pour ce 70e anniversiare , pour des films traitant de l'inceste et des brutalités conjugales, de l'État de l'Europe, de l'éthique et de la culpabilité, ou encore de divers traumatismes.
Retour sur un festival toujours en pleine forme qui aura étonnemment primé le documentaire italien « Sacro GRA » et qui aura révélé trois grands films : « Gravity » d'Alfonso Cuarón, « Philomena » de Stephen Frears et surtout « Locke » de Steven Knight.
Inceste et brutalités conjugales
C'est certainement le film grec « Miss Violence », primé à deux reprises (interprétation masculine et mise en scène) qui aura le plus marquant, dressant le portrait d'un père entretenant d'étranges relations avec ses enfants, voire petits enfants. Sans trop dévoiler de l'intrigue de ce film intimiste et dérangeant, le film repose sur le pouvoir d'attractraction du personnage interprété par Themis Panou, dont l'emprise sur le cocon familial enserre ce film vénéneux tout entier. « The canyons », dans une moindre mesure fait aussi une tentative d'analyse de la dépendance que peut exercer un homme nerveux et violent, ici producteur de cinéma, désireux de tout contrôler de sa vie, à la manière d'un réalisateur qui dirigerait d'autres acteurs.
Chapitré en 59 moments de vie, « The police Officer's Wife », récompensé du Prix spécial du jury, séduit par son aspect clinique, tout en suggestion, décrivant l'alternance entre petits bonheurs et conséquences des accès de violence d'un mari policier, donc insoupçonnable. « Joe » de David Gordon Green met en parallèle le présent d'un garçon au père alcoolique, prêt à tuer un SDF à coups de bouteille pour avoir sa dose, et celui du père de substitution que représente Nicolas Cage, confronté au même problème par le passé. Mais c'est finalement Kim Ki-Duk qui aura poussé le bouchon le plus loin, avec « Moebius », en décrivant le fonctionnement terrrifiant d'une famille, où la mère aura coupé le sexe de son fils, faute de pouvoir s'en prendre à celui de son mari volage. Un film éprouvant qui traite du rapport entre orgasme et douleur, de manière jamais vue.
État de l'Europe ou d'un pays en particulier
La crise étant toujours bien installée dans les pays du sud de l'Europe, le sujet aura été la préoccupation de films italiens comme grecs. Côté Italie, le documentaire ayant obtenu le Lion d'or « Sacro GRA » dépeint les inégalités grandissantes en faisant simplement le tour du périphérique de Rome (le G.R.A.), un ruban autoroutier qui permet de montrer les contrastes entre quartiers traversés ou séparés, et entre communautés. Très réussi, « Via Castellana Bandiera » traite de l'état d'esprit en Sicile, de manière parabolique, en mettant face à face deux conductrices buttées, refusant chacune de faire marche arrière dans une ruelle. Influence de certaines familles, loi du silence, adimiration pour les escrocs, fierté mal placée, le constat n'est pas tendre et mène au précipice.
Plus laborieux, « L'intrepido » met en scène un homme habitué des remplacements dans divers boulots, et dénonce le vide qui se cache derrière l'apparence d'une économie encore en bonne santé. Une comédie ratée qui n'est même pas sauvée par l'interprétation honnête de Antonio Albanese. Plus à l'Est, la Grèce n'en finit plus de panser ses blessures, « Miss Violence » dénonçant habilement la passivité des générations et politiques au pouvoir, à genoux devant une Europe destructrice, et prêts à endetter jusqu'à leurs petits enfants pour sauver leur économie. La parabole est rude puisqu'elle passe par la prostitution.
Mais partout dans le monde, le constat semble similaire, entre misère et précarité galopantes aux États Unis dans « Joe » ou « Child of god », cohabitation ou asservissement entre ethnies en Israël dans « Ana Arabia » de Amos Gitai, montée de l'intégrisme et des intérêts individuels dans l'Algérie des « Terrasses » de Merzak Allouache, ou encore êtres humains réduits à l'état d'animaux errants dans le taïwanais « Stray dogs » de Tsai Ming Liang, film poseur, récompensé on ne sait trop pourquoi par le Grand Prix du jury.
Éthique et responsabilité
Abordant la thématique du mensonge en politique, le documentaire « The unknwon known » dresse autant un portrait d'un homme tactique, Donald Rumsfeld, qu'un inquiétant constat de la prépondérance de la réthorique et de la communication pour influencer l'opinion. Partant de l'histoire des faux stock d'armes de destructions massives qui justifièrent l'invasion de l'Irak, Errol Morris aborde la question de l'éthique en posant la notion sur un piédestale, tout en gardant un certain degré de dérision. Andrezj Wajda tente de faire de même au travers du portrait de Lech Walesa, « Walesa man of hope », s'attardant sur les rôles troubles du leader syndicaliste, en tant que potentiel informateur du pouvoir en place. Quant à « Night moves », il interroge à l'inverse, la responsabilité d'activistes écologistes préparant une action d'éclat, et la différence de réaction des uns et des autres face au sentiment de culpabilité.
Plus intimiste, la comédie dramatique au cynisme exacerbé « Philomena » fait froid dans le dos, pointant l'absence de sentiment de culpabilité de la part de sœurs responsables de la séparation d'enfants de leurs mères. Un portrait déchirant et drôle, d'une femme recherchant celui qu'on lui a autrefois soustrait, et désireuse simplement de savoir s'il pensait parfois à elle, qui doit autant à l'interprétation somptueuse de Judy Dench, qu'à la finesse d'écriture de Steve Coogan et Stephen Frears. Autre question de repsonsabilité posée cette année, celle du père dans « La belle vie », obligeant ses deux enfants à vivre cachés, pour ne pas que leur mère les retrouve. Un sujet rarement traité au cinéma, qui amène forcément aux divergences entre désir de protection de la part d'un père aimant, et désir de vie de la part d'enfants aux portes d'une existence indépendante.
Terminons par ce qui fut certainement le film le plus touchant du festival, le sélectionneur lui-même ayant regretté de ne pas l'avoir mis en compétiton. « Locke » dresse, le temps d'un trajet en temps réel, le portrait d'un homme qui tente d'agir avec droiture et responsabilité. Ayant choisi de se rendre, en sortant du travail, à l'hôpital où va accoucher celle qui fut sa maîtresse, il va devoir par téléphone, essayer de régler de nombreux problèmes, et d'expliquer son geste. Techniquement impresionnant par le suspense qu'il réussit à installer, le film tient sur les épaules d'un Tom Hardy absolument bluffant. Un film sur la capacité à prendre ses responsabilités, et sur la complexité qui s'invite parfois sur le chemin d'un homme qui voudrait être quelqu'un de bien.
Se remettre d'un traumatisme
Si les films américains abordent le traumatisme, c'est sous des angles bien différents. Ils font en effet le grand écart, entre un « Child of god » de James Franco qui s'intéresse à la persécution vécue par un homme ayant perdu ses parents et chassé de ses terres, et à l'humanité qui subsiste en lui, malgré un retour à l'état quasi sauvage, « Parkland » trouve en un témoin de l'assassinat de Kennedy un sujet intéressant pour aborder du point de ceux embarqués dans cet événement crucial, une page traumatisante de l'histoire du Pays.
« Gravity », lui, s'intéressa plus particulièrement au deuil d'une femme, perdue dans le silence d'un espace sans limites, suite à l'explosion de la navette spatiale sur laquelle elle faisait des réparations. Rendant hommage à la combattivité de l'homme et à sa capacité à se relever, le film est non seulement une immersion techniquement impressionnante, mais également un portrait intimiste bouleversant.
Le deuil aura été sans nul doute un sujet commun à de nombreux films, du dessin animé « L'arte dela felicita » où l'on suit un chauffeur de taxi bouddhiste ayant perdu son frère, jusqu'au japonais « Le vent se lève » qui aborde la maladie avec tact sous l'angle de la déchirante complicité entre un inveteur et sa femme, rencontré lors d'un tremblement de terre à Tokyo. Mais c'est au final le québéquois « Tom à la ferme » qui aura secoué le festival, le dernier film de Xavier Dolan mettant un jeune homosexuel bien décidé à se rendre à l'enterrement de son amant, aux prises avec un « beau frère » au pouvoir d'attraction-répulsion. Un thriller hitchockien émouvant, qui traite avec justesse du besoin d'afficher à la face du monde un amour jusque là secret, et de l'espoir viscéral de retrouver une famille.
Olivier Bachelard
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