DOSSIER

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MUSIQUE ET CINÉMA : Richard Wagner en 9 films majeurs


Wagner s'est illustré dans un domaine qu'il a mené à une perfection et un gigantisme inégalés dans l'histoire de la musique : l'opéra. Il fait lui-même construire une salle à sa mesure, à Bayreuth, à même d'accueillir sa célèbre tétralogie Der Ring des Nibelungen (L'Anneau du Nibelung), cycle de quatre opéras comprenant la célèbre Walkyrie. Si nombre de thèmes wagneriens sont devenus populaires (ne seraient-ce que la Chevauchée des Walkyries ou encore la marche nuptiale issue de Lohengrin qu'on entend en général dans un mariage sur deux), assister à l'un de ses opéras en entier peut devenir une expérience rare et intense, mais qui peut certes submerger par sa densité et sa longueur si l'on n'est pas un tant soit peu préparé. Le cinéma ne remplacera pas cette immersion dans l'univers wagnerien mais nous permettra, par petites touches, de le redécouvrir.

Un autre aspect de Richard Wagner, concernant l'homme et non plus la musique, était son antisémitisme assumé, notamment à travers son ouvrage Das Judenthum in der Musik (Le judaïsme dans la musique). Reprise par le régime nazi, Hitler faisant de Wagner son compositeur préféré, la musique de ce dernier prend alors le risque d'être associée à son insu à la personnalité la plus sordide de l'Histoire, provoquant un raccourci stupide si l'on n'y réfléchit pas deux fois : Wagner serait donc un nazi. Si l'on est d'accord sur l'aberration historique que constitue cette affirmation, on ne peut en revanche nier l'antisémitisme du compositeur allemand, qui lui est bien réel. La question importante est donc la suivante : peut-on faire abstraction de l'homme et défendre sa musique, aussi géniale soit-elle ? (Nous y reviendrons avec le cas Von Trier...) Le chef Daniel Barenboim répond par l'affirmative en donnant pour la première fois un concert Wagner en Israël en 2001, ce qui ne manqua pas d'attiser les passions. Mais le message est passé : la musique ne peut faire l'objet d'une récupération politique, sans quoi elle deviendrait inexorablement source de violence et de haine. C'est donc sereinement, sans associations douteuses et images sordides, que vous pouvez aborder ce florilège de films employant la majestueuse musique de Richard Wagner !

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"Le Prénom" d'Alexandre de la Patellière et Mathieu Delaporte (2012)

C'est avec l'ouverture de Tahnnhauser que nous faisons la connaissance de Claude Gatignol, 1er trombone de l'orchestre philharmonique de Radio France. Association assez naturelle puisque l'œuvre de Richard Wagner ne tarit pas de l'usage des cuivres pour rendre sa masse orchestrale encore plus imposante. Un peu plus tard, la même musique accompagnera l'argumentation passionnée de Vincent (Patrick Bruel) qui tentera de convaincre ses amis que le choix du futur prénom de son fils est pertinent. Nous tairons ce fameux prénom qui est ce sur quoi le film repose, pour préserver le plaisir de la découverte, tout en précisant cependant que si la musique est parfaitement fonctionnelle pour soutenir cette démonstration enflammée, c'est qu'elle a un rapport, lointain mais prégnant, avec ce mystérieux prénom... Enfin, nous retrouverons une ultime fois cette mélodie wagnérienne mais sur le ton de la confession, quand Claude exprime des sentiments trop douloureux que la musique ne saurait adoucir...

"Melancholia" de Lars Von Trier (2011)

C'est le prélude de Tristan et Isolde qui sera le leitmotiv de ce fascinant opus de Lars Von Trier. L'introduction est déjà impressionnante. On peut y entendre l'ouverture dans son intégralité sous une série de plans fixes au ralenti, comme autant de tableaux mouvants venant tracer les différentes étapes du film jusqu'à son tragique dénouement. Dès le début tout est dit, comme dans l'opéra de Wagner où la musique révèle déjà le destin funeste des deux amants. Ce prélude reviendra de nombreuses fois, notamment lors d'une scène étrange et fascinante où Justine (Kirsten Dunst) quittera la maison familiale en pleine nuit, pour rejoindre un sous-bois où elle s'allongera nue, contemplant et semblant se donner en offrande à la mystérieuse planète Melancholia... Le mariage Wagner-Von Trier fonctionne parfaitement mais rappelle aussi les désagréments du cinéaste au festival de Cannes 2011. En effet, les propos malvenus que Lars Von Trier a tenu sur Hitler en conférence de presse ont profondément entaché son image. On peut toutefois en faire abstraction lors de la vision de ses films et considérer qu'il est toujours un grand cinéaste en plus d’être un provocateur visiblement limite.

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"A Dangerous Method" de David Cronenberg (2011)

Le mythe de Siegfried, est évoqué par Sabina (Keira Knightley) à son thérapeute Carl Jung (Michael Fassbender). Si l'on entend quelques courts extraits d'opéras de Wagner, la musique originale d'Howard Shore est cependant prédominante mais est composée à partir des leitmotivs du compositeur allemand. Ainsi peut-on reconnaître ici ou là des motifs wagnériens mais traités à la sauce shorienne, c'est-à-dire assez éloignée de l'original : ce que la musique gagne en clarté, elle le perd en intensité et même en fidélité, par exemple en utilisant le piano, instrument inexistant dans l'œuvre de Wagner. La bande-son donne alors au film un beau décor plus qu'elle aurait pu incarner son histoire. Une question se pose donc en vue de tous les autres films cités dans ce dossier. Cronenberg n'aurait-il pas donné une autre dimension à son histoire en utilisant exclusivement la musique des opéras de Wagner ?

"Watchmen - Les gardiens" de Zack Snyder (2009)

Dans ce que certains considèrent comme l'ultime film de super-héros, l'hommage à "Apocalypse Now" est évident : la même musique (les Walkyries), la même guerre (le Vietnam), les mêmes hélicoptères mais accompagnés ici d'un allié de choix : le Docteur Manhattan. Pour ceux qui ne connaîtrait pas ce super-héros-là, imaginez un schtroumpf invincible, tout nu, de la taille de la tour Eiffel, et qui n'a besoin que de lever le bras pour réduire ses ennemis en poussière. Autant dire que la guerre du Vietnam version Watchmen fut expéditive...

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"Le Nouveau Monde" de Terrence Malick (2006)

L'art de Terrence Malick présente d'emblée un paradoxe : sa filmographie est aussi peu prolifique que chacun de ses films s'avère essentiel dans l'histoire du cinéma contemporain. A l'instar de Kubrick, la musique classique tient une place réfléchie et fondamentale dans la plupart de ses films et fondamentale dans son sens le plus profond : en posant les fondations du récit. Ainsi l'ouverture de ce "Nouveau Monde" est-elle fusionnée à celle de L'Or du Rhin. Ce n'est pas n'importe lequel des opéras de Wagner que celui-ci, puisqu'il amorce le cycle titanesque qu'est la tétralogie, œuvre-somme composée de pas moins de quatre opéra (dont la fameuse Walkyrie). La particularité musicale de cette ouverture est qu'elle est construite sur un seul et unique accord (de mi bémol). Cette apparente mais illusoire pauvreté du matériau de départ est compensé par l'orchestration et le parcours qu'emploie Wagner. D'abord énoncée par la chaude sonorité des cuivres alors que la caméra nous immerge littéralement dans les eaux du nouveau monde, la musique prend de l'ampleur, les cordes faisant tour à tour leur apparition, du grave vers l'aigu. Ainsi les arpèges des violoncelles, puis des alti et enfin des violons viennent intensifier cette élévation tandis que la caméra refait surface, nous faisant découvrir les navires des conquistadors...

"Meurtre mystérieux à Manhattan" de Woody Allen (1993)

Ce ne sera que pour une poignée de secondes que nous entendrons quelques mesures de Wagner, issue de l'opéra Le Hollandais volant (Fliegender Höllander), le titre faisant référence à l'un des plus célèbres vaisseaux fantômes, en quelque sorte l'ancêtre du Black Pearl de "Pirates des Caraïbes". Et si l'extrait est si court c'est précisément parce que Larry (Woody Allen) n'en peut plus d'écouter cette musique, ce qui vaudra l'une des répliques les plus fameuses du cinéaste : « Je ne peux pas écouter autant de Wagner : ça me donne envie d'envahir la Pologne ». Pour en remettre une couche le soir venu : « Je ne peux pas m'enlever cet air du Hollandais volant de ma tête. Demain, fais-moi penser à acheter tous les disques de Wagner en ville et à louer une tronçonneuse. » On va dire que Richard et Woody, ça fait deux...

"Apocalypse Now" de Francis Ford Coppola (1979)

LE film sur le Vietnam, c'est aussi LA musique qui lui est associée à jamais. Pour ceux qui ont vu l'opéra de Wagner, les Walkyries sont ces déesses guerrières qui emmènent les âmes des héros défunts au Walhalla, le paradis de la mythologie nordique. Mais pour ceux qui ont vu le film de Francis Ford Coppola, les Walkyries prennent la forme d'un essaim d'hélicoptère propageant la mort à coup de roquettes et de napalm...


"Le Dictateur" de Charlie Chaplin (1940)

Scène culte entre toutes, Hadenoid Hynkel (Charlie Chaplin) demande à rester seul dans ses quartiers pour laisser libre court à ses rêves de conquêtes et de domination. Commence alors le prélude de Lohengrin, la douce mélodie des violons qui, dans l'extrême aigu de leur tessiture, annonce l'envolée poétique de la légère mappemonde. Cette féerie sera momentanément interrompue par les mots du despote : « Aut Caesar aut nullus, emperor of the world, my world... » (Etre César, sinon rien. Empereur du monde, mon monde...), suivis d'un rire diabolique ou risible, selon le point de vue. Se déroule ensuite l'élégant ballet entre un tyran assoiffé de pouvoir et un monde innocent et gonflé d'hélium qui va finir par lui échapper malgré des jongles qu'aurait envié Lionel Messi.

"Un chien andalou" de Luis Buñuel et Salvador Dalí (1929)

Cet étrange court-métrage est célèbre pour l'une de ses premières scènes où un homme sectionne l'œil de sa femme avec une lame de rasoir, ce que l'on voit en gros plan. Même si l'on sait qu'un œil de bœuf a été utilisée à cet effet, la scène n'en reste pas moins dérangeante, le film pouvant être considéré entre autre comme un acte de provocation face une société parisienne trop bien-pensante. D'autres scènes étranges (des fourmis qui sortent de la paume de la main, un âne mort dans un piano, dont on sait que plusieurs proviennent des rêves des cinéastes...) se succèdent sans lien apparent entre elles si ce n'est la présence des deux protagonistes. Les musiques qui s'alternent sont tout autant opposées que les différentes scènes du film puisqu'il s'agit d'un tango argentin et de la mort d'Isolde ("Isoldes Liebestod", scène finale de Tristan et Isolde). Ainsi, le joyeux tango accompagne la section de l'œil, un intertitre nous annonce « Huit ans plus tard » et le plan suivant voit un homme bizarrement habillé faire de la bicyclette sur la poignante musique de Wagner. C'est donc avec une grande curiosité et une large ouverture d'esprit qu'il vous faudra aborder ce drôle de récit, sous peine d'en ressortir quelque peu perplexe. Mais si vous avez le goût du décalage, vous serez comme un poisson dans l'eau...

Rémi Geoffroy

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