affiche film

© UGC Distribution

L'ORDRE ET LA MORALE


un film de Mathieu Kassovitz

avec : Mathieu Kassovitz, Iabe Lapacas, Malik Zidi, Alexandre Steiger, Daniel Martin, Sylvie Testud, Philippe Torreton...

Avril 1988. Deux jours avant des élections présidentielles s’annonçant serrées entre François Mitterrand et Jacques Chirac, une rébellion s’organise en Nouvelle Calédonie où une poignée de kanaks décide de prendre en otage une trentaine de gendarmes à Ouvéa pour protester contre le statut Pons mis en place afin d’affaiblir le pouvoir des indépendantistes. Mais la prise d’otage vire au bain de sang. Quatre gendarmes sont tués et le gouvernement décide d’envoyer le GIGN. En arrivant sur place, le capitaine du GIGN, Philippe Legorjus s’aperçoit que l’armée française a elle aussi été dépêchée sur les lieux. Ce qui ne lui laisse pas présager les meilleurs conditions pour négocier…


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Photo film

L’ordre, plus fort que la morale

Après deux expériences hollywoodiennes peu convaincantes (« Babylon A.D. » et « Gothika »), c’est peu dire qu’il était très attendu pour sa nouvelle production française. De retour aux films à résonance sociale, près de 15 après son brûlot « Assassin(s) » mal-aimé, hué, mais à réévaluer d’urgence, Mathieu Kassovitz décide de s’attaquer aux raisons qui ont poussé l’armée française à commanditer l’assaut sanglant qui fit deux morts côté français et dix-neuf côté kanaks. Un sujet épineux autant pour les kanaks que pour la classe politique de l’époque, notamment Bernard Pons, Ministre de l’Outre-mer au moment des faits, qui n’a pas manqué de réagir envers le film. Côté Kanaks, le brillant réalisateur de « La Haine » a passé près de dix ans à préparer le projet, respectant notamment la « coutume », tradition orale de pour-parler auprès des autochtones présents au moment de la tragédie ainsi qu’auprès de leurs proches pour avoir l'accord pour le tournage son projet : l’adaptation du livre écrit par Philippe Legorjus qui relate les faits du point de vue du capitaine du GIGN.

Dix ans pour 2h15 de film, il aura fallu de l’abnégation pour mettre sur pied un tel long-métrage. À la vue du résultat, on comprend aisément pourquoi ce projet lui tenait tant à cœur. Car « L’Ordre et la morale » s’inscrit directement dans la veine de ses trois premiers films, ceux qui ont donné au réalisateur, qui n’a pas peur d'appuyer là où ça fait mal, la stature qu’il détient aujourd’hui. Le film rappelle « La Haine » sur de nombreux plans (le film s’ouvre et se ferme sur le visage de Legorjus comme sur celui de Saïd dans « La Haine ») et références (la réplique du général sur l’atterrissage). On retrouve aussi la même montée en puissance tout au long du film jusqu’à une séquence finale absolument impressionnante, digne du « Les Fils de l’Homme » d’Alfonso Cuaron. Véritable virtuose dans l’art de mettre en images les sensations de ses personnages, Kassovitz s’offre de nombreux plans et audaces de mise en scène, comme ce flash-back de la prise d’otage, qui laisseront indubitablement bouche bée.

Avec ce sujet évacué de la mémoire collective comme des manuels scolaires, Mathieu Kassovitz s’acharne dans une recherche d’authenticité, évitant brillamment de tomber dans les travers la facilité et des clichés. C’était bien la moindre des choses mais, même avec toutes les meilleurs intentions du monde, il était plus que probable qu'il sombre dans la simplification avec un sujet aussi casse-gueule. Étonnant de la part de Kassovitz dont on sait que l’art de la nuance et de la subtilité ne font pas partie des principales qualités de ses films. On n’y dépeint pas de méchants, ni de gentils. Simplement des hommes préoccupés par leurs petites personnes ou par la cause qu’ils croient juste et en ce sens, « L’Ordre et la Morale » se paie le luxe de l’humanité. Le personnage principal, en est le meilleur exemple. Ce négociateur du corps d’élite de la gendarmerie se retrouvera tiraillé entre son devoir d’obéissance à l’État et sa propre conscience, qui lui dicte exactement l’inverse.

Le titre du film se tient ainsi comme une évidence philosophique. Deux concepts antagonistes avec lesquels les personnages devront composer : l’ordre, qui relève des intérêts privés, et la morale, qui tient de la sensibilité. Ce déchirement est aussi présent du côté des preneurs d’otages Kanaks, pris entre la nécessité de se faire entendre, et ce, même s’il faut en passer par la force et leur volonté de ne faire de mal à personne. Deux camps et donc deux personnages face à une situation extrême. L’un bien décidé à maintenir un héritage culturel face à l’invasion coloniale des valeurs de la République Française et l’autre prêt à tout pour éviter un bain de sang. Et lorsque la confiance s’installe entre les deux représentants, c’est l’État qui intervient rappelant à quel point la vie humaine ne pèse parfois plus rien comparé à des enjeux politiques comme des scrutins électoraux.

Encore une fois, Kassovitz sait parfaitement user de son sens du montage pour mettre en lumière les rouages de la manipulation politique comme le désarroi de son personnage, mais il oublie de diriger ses comédiens, pour leur plus grande majorité, amateurs (les grands acteurs tels que Philippe Torreton et Sylvie Testud, n’effectueront que des caméos de quelques minutes). Il est en effet regrettable qu’un film si maîtrisé pêche finalement par des interprétations qui laissent à désirer. Ainsi, notamment au début, la plupart des interlocuteurs de Legorjus sont peu convaincants et nombre de répliques solennelles typiques de l’armée sonnent faux. Heureusement, la virtuosité de la réalisation estompe cette impression à mesure que le metteur en scène nous emmène au cœur des événements. Mais ce défaut nuit considérablement à la mise en place du récit. « L’Ordre et la morale » n’est donc peut-être pas à la hauteur des premières perles déjà réalisées par Mathieu Kassovitz, mais il marque indubitablement le retour sur le territoire français d’un de ses plus grands réalisateurs.


Second avis


Article rédigé dans le cadre du Partenariat
avec l' « atelier critique » du Lycée St Exupéry


Trois ans après la sortie de son film « Babylon A.D. », au succès très relatif, le réalisateur de « La Haine » nous revient avec Christophe Rossignon (producteur des très bons « Metisse », « La Haine » et « Assasin(s) ») pour un film ayant trait à un événement méconnu et peu traité de la cinquième république : la prise d'otage d'Ouvéa en avril 1988. « L'ordre et la morale » s'inscrit donc dans la lignée de ces films français revisitant les crises de l'État français de cette dernière moitié de siècle.

Avril 1988, entre les deux tours de l’élection présidentielle opposant Mitterand à Chirac, un groupe d’indépendantistes kanaks prennent en otages une trentaine de gendarmes sur l'île d'Ouvéa. La réaction de l'Etat français est immédiate : 3000 militaires sont envoyés sur place, avec parmi eux, un commando du GIGN, celui de Phillipe Lecorjus, incarné par Kassovitz, un homme qui on le sait dès le début "N'a pas pu faire son travail".

Le film tourne donc autour des raisons pour lesquelles l'État et l'armée auront préféré lancer un assaut sanglant aux conséquences tragiques plutôt que de suivre l'alternative que Lecorjus présentait, une solution pacifique. Le personnage doit faire face tout au long du film entre l'ordre, celui de ses supérieurs, et la morale, la sienne.

Loin de tomber dans le manichéisme auquel on pourrait s'attendre, ce film nous rappelle, ou nous apprend pour les plus jeunes, l'existence de cet événement peu évoqué dans nos manuels scolaires ou rappelé dans les médias. Il ne s'agit pas ici de méchants et de gentils, le film ne prend partie ni pour les Kanaks, ni pour Lecorjus, ni pour l'armée, même si il ne respecte pas la version officielle de l'armée, et même si il est plus critique envers les hommes politiques de l'époque. Il nous montre ce qu'il s'est passé durant ces sept jours avant l'assaut et jusqu'à l'assaut final.

Un film s'appuyant sur un sujet tabou ne suffit pas à faire un bon film et le réalisateur le sait. La bande son, discrète mais présente là où il le faut, nous immerge dans le feu de l'action d'un assaut ou accompagne des scènes contemplatives de paysages calédoniens. L'interprétation est quand à elle bonne sans être sensationnelle : Kassovitz est très convaincant dans son rôle, les autres acteurs le sont eux, un peu moins. Enfin de nombreux plans, dont le premier, un flash-back, et le dernier (la suite de ce flash-back) laissent bouche-bée.

Avec ce film Mathieu Kassovitz revient et fait du bruit. En effet, il y a fort à parier qu'au delà de la polémique qu'avait provoqué son envie de le tourner sur les lieux du drame, ce film divisera.

Mohamed-Lamine Benayache
Lycée Saint Exupéry

Lycée Saint Exupéry

08-11-2011

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