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Festival de Venise 2011 : Jour 3 – Kate Winslet sur tous les fronts, David Cronenberg chez Freud et l'âme sœur selon Jean Marc Vallée


Photo Festival de Venise 2011 : Jour 3 – Kate Winslet sur tous les fronts, David Cronenberg chez Freud et l'âme sœur selon Jean Marc ValléeVendredi 02 septembre 2011

Les choses sérieuses ont commencé en ce vendredi sur le Lido, avec l'homme à Todd Haynes, cette année membres du jury et présentant l'une des œuvres de la sélection avec Kate Winslet parmi les personnages principaux (ici une série télé), le très attendu nouveau film de David Cronenberg aux origines de la psychanalyse, et le premier film français en compétition.

Portrait d'une femme libre sur fond de crise économique

Dans le cadre l'hommage qui lui est rendu, le réalisateur Todd Haynes (« Velvet Goldmine », « Loin du paradis ») qui n'avait pas de long métrage à proposer, a présenté la mini-série de HBO, « Mildred Pierce », drame familial en costumes. Divisé en 5 épisodes d'une heure (un peu plus pour le dernier), que nous avons eu ici le privilège de visionner sur grand écran, la série a pour personnage principal Mildred Pierce (Kate Winslet, sur tous les fronts cette année, puisqu'on la verra encore dans « Contagion » de Steven Soderbergh demain), une femme au foyer, que son mari quittera pour une autre, la laissant s'occuper de ses deux filles.

L'histoire, adaptée du roman de James Mc Cain, débute en 1931, par l'engueulade entre les deux parents dans la cuisine de la maison, résumant la vie du couple en un long travelling sur une pièce voisine s'attardant sur objets et photos qui s'y trouvent. L'élégance de la mise en scène de Todd Haynes, la somptuosité des décors n'a d'égal que le jeu habité des acteurs, de Guy Pierce (un riche rentier), Melissa Leo (la voisine compatissante) et Evan Rachel Wood (la fille devenue adulte). « Mildred Pierce » est sans nul doute une mini-série qui vaut le détour, de par la complexité de ses personnages qui cherchent à s'échapper de leur condition (ou pour certains à la retrouver), la richesse et la minutie de sa reconstitution historique, le contexte de crise et la cruauté de son histoire, impliquant un douloureux renoncement.

Monica Bellucci en femme fatale pour Philippe Garrel

Premier film en compétition de la journée, « Un été brûlant » de Philippe Garrel a une nouvelle fois divisé public et critique. Inspiré par « Le mépris » de Jean Luc Godard, dont le réalisateur de « Les frontières de l'aube » avoue n'avoir repris que l'essence, mais pas l'enveloppe, la forme, raconte au travers des yeux d'un ami, la séparation d'un peintre et de sa femme. Celle-ci, on le sait dès le début, le mènera à sa perte, celui-ci précipitant sa voiture contre un arbre.

D'un côté, l'on pourra être séduit par quelques jolies idées comme la mise en abyme du récit du tournage de l'attaque des allemands (expliquée par le metteur en scène, jouée par Paul, puis racontée comme une expérience) ou par quelques dialogues amoureux (demander à quelqu'un de l'épouser c'est une façon de dire à l'autre « je crois en toi »), ou amusants (« les Italiens depuis la renaissance, ils se reposent...). De l'autre on sera atterré par la dualité entre les deux personnage et la schématique opposition entre l'artiste maudit et épicurien, et le militant révolutionnaire, ou par la pauvreté navrante de certains dialogues qui arrivent comme un cheveu sur la soupe (« la question, c'est combien de temps cela va durer », ou encore « en amour c'est chacun pour soi »).

Quand ce n'est pas la scène toute entière qui sort de nulle part (pour exemple le « quelle merde ce Sarko », lors d'une balade nocturne qui passe à côté d'une rafle d'immigrants). Car qu'on soit ou non d'accord sur le fond avec cette « remarque » et le contexte qui amène le personnage à cette réaction épidermique, cela ne fait pas avancer la cause, et réduit les opposants à l'actuel président à des impulsifs incapables de proposer une solution, ne faisant que nier le problème posé.

Viggo Mortensen et Michael Fassbender aux origines de la psychanalyse sous l’œil de David Cronenberg

Au début du vingtième siècle, aux origines de la psychanalyse, Sigmund Freud et Carl Jung, étaient deux confrères expérimentant une « médecine de la parole », le premier étant le mentor du second. David Cronenberg, toujours intéressé par les errances aux confins de la folie (« The naked lunch », « Spider », « Faux semblants ») en a fait le sujet de son « A dangerous method », présenté en compétition. Se concentrant sur les interactions entre Jung (Michael Fassbender) et l'une de ses patientes (Keira Knightley, méconnaissable et littéralement habitée), il construit sous nos yeux une intrigue entre vie privée et professionnelle, qui mènera à la rupture entre les deux mouvements, l'un cherchant juste à expliquer l'état de ses patients (Freud), le second croyant qu'on peut les aider à avancer en trouvant un but, un rêve (Jung).

Dessinant au passage un fond social inquiétant, il transcrit intelligemment la montée du nazisme au travers de quelques dialogues biens sentis, traduisant la tension des rapports entre juifs et ariens, et les théories nauséabondes de l'époque. Tout est impeccablement engoncé dans un étui de conventions, la mise en scène de Cronenberg se mettant à l'unisson, en adoptant un certain classicisme. On retiendra de cette balade dans les arcanes d'une médecine en pleine affirmation, décriée pour son obsession de la chose sexuelle, quelques scènes mémorables de rage contenue, et la prestation de Keira Kneightley, dont les contorsions, les mouvements saccadés de mâchoire, les défauts de diction, pourraient bien lui valoir un prix d'interprétation.

Un Jet Li visuellement réussi mais trop cabotin

À Venise les films de genre sont souvent les bienvenus en sélection, parfois même en compétition. C'est ainsi que « The sorcerer and the white snake » a été proposé ce jour aux festivaliers dans le cadre des fameuses séances de minuit du festival. Le scénario de ce conte fantastique avec Jet Li, repose sur deux histoires amenées à se rencontrer. D'abord, il y a ces deux femmes serpents (un peu comme des sirènes, mais avec une très longue queue, et flottant dans les airs et non dans l'eau), vivant dans les montagnes et s'amusant à effrayer ceux qui s'aventurent dans ces contrées. L'une tombe amoureuse d'un herboriste humain, qu'elle suivra jusque dans le monde des humains. Puis il y a le maître Jet Li et son assistant, chassant les démons, qu'ils emprisonnent dans une sorte de miroir.

Entre petite romance charmante et scènes épiques de chasse aux démons, on ne peut pas dire que le réalisateur fasse dans la mesure. Et cela donne à la fois des morceaux de bravoure voués à créer des scènes épiques (ici les hommes font des sauts dans les airs incroyables, et sont capables de mouvoir des objets à grande vitesse (voir la séquence de surf sur la barque), de l'amusante bataille contre le bat-demon (démon chauve souris) et ses servantes, jusqu'au final apocalyptique qui opposera Jet Li à la serpente blanche. Le déluge d'effets spéciaux n'est pas tous très heureux (notamment pour le début, avec la capture d'une sorcière...), mais s'avère plutôt efficace pour magnifier les décors (les montagnes escarpées, les extérieurs du village lors de la fête des lanternes...). Mais le véritable défaut du film réside dans la caractérisation de l'assistant de Jet Li, personnage secondaire sensé être drôle dans ses maladresses, cabotinant en permanence, et sujet d'une idiote histoire d'amour parallèle avec la serpente verte. Dispensable et certainement voué, en France, à une sortie directe en vidéo.

Un thème vu et revu : la maison isolée, au passé mystérieux

Rien de bien nouveau avec le premier film de Hernan Belon, « El campo ». Ce décevant thriller psychologique argentin centré sur un couple et leur petite fille, nous conte leur arrivée dans une maison dans laquelle ils sont sensés faire quelques menus travaux avant de pour pouvoir réellement l'habiter. Installant initialement une certaine ambiance, une inquiétude, avec bruits étranges et voisine envahissante, particulièrement intéressée par la petite fille, le réalisateur n'osera pas s'aventurer dans le domaine du fantastique, préférant tenter le terrain du couple en crise. C'est ainsi sur la paix intérieure de la femme, que la maternité a rendue quelque peu paranoïaque, que le scénario se concentrera.

Opposition entre deux visions de la vie, celle de la citadine attentive au moindre changement dans son environnement, et celle du mari, venu de la campagne, et qui souhaiterais retourner y vivre, cette histoire d'isolement et de connexion progressive entre les deux femmes finit surtout par agacer par le portrait instable qu'il fait de la mère. Celle-ci se révèle en effet irritante par ses changements d'avis permanents, ses provocations vaines envers son mari, et son mépris total pour ce à quoi celui-ci aspire. Il en résulte que l'on a bien du mal à déceler quel message le réalisateur a voulu faire passer. Restent quelques plans ou scènes réussis ça et là, comme lorsque la mère, hypnotisée par le bruit de la balançoire sur laquelle elle est assise, laisse sa fille se diriger seule vers la forêt.

L'existence d'une âme sœur selon Jean Marc Vallée

Le réalisateur de « C.R.A.Z.Y. » Jean Marc Vallée retrouve les rangs des Journées des auteurs avec un film à la fois en anglais et français. « Café de Flore », du nom d'un morceau de musique des années 60, nous conte en parallèle deux histoires, qu'il reliera sur finalement d'une manière aussi déroutante que bouleversante. Deux histoires apparemment distinctes, dans lesquelles la musique revêt une importance capitale dans l'équilibre même des personnages, qu'il s'agisse du DJ canadien, qui regarde la vie avec des écouteurs et sourit à ce monde qui lui a offert deux bonheurs (et deux amours) ou du gamin trisomique parisien qui comme un rituel, demande à sa mère du « café », pour avoir l'occasion de partager ce morceau rassurant.

Portée par Vanessa Paradis, la première se déroule à Paris en 1969, dans une misère heureuse, et dépeint la lutte d'une mère pour déjouer la fatalité et faire vivre son enfant au delà des 24 ans d'espérance de vie qui lui sont usuellement alloués. La seconde, se déroule de nos jours à Montréal, décrivant la vie heureuse d'Antoine (Kevin Parent), et revenant sur les deux dernières années qui l'ont amené à remplacer un grand amour par un autre. Jean Marc Vallée, alliant ruptures de lieu et de temps, et cassures rythmiques et musicales, construit une tension destinée à faire trembler pour ses personnages, menacés dans leur devenir et leur bonheur. Affichant la fragilité de certains tout comme l'indéfectible optimisme d'autres, il parvient à un film déchirant en emprunter quelques sentiers plus que casse-gueule. Une indéniable réussite, abordant de manière originale et (dés)enchantée la thématique de l'âme sœur.

Quand Marina De Van adapte Perrault à la sauce végétarienne et anti-capitaliste

Sélectionné dans la section Horizons, « Le petit Poucet » de Marina De Van (« Dans ma peau », « Ne te retourne pas ») était l'une curiosité de la soirée. La réalisatrice, révélée en actrice par François Ozon dans « Sitcom » nous livre avec ce film, sa propre vision du conte de Perrault, récit redevenant d'actualité avec la crise économique et le fossé qui se creuse entre les plus aisés et les plus pauvres. Restant fidèle à la trame du conte, De Van nous expose dans un récit linéaire les difficultés de la famille de Poucet à trouver de quoi manger, l'égarement volontaire des enfants en forêt, la rencontre avec l'ogre. Se concentrant sur le caractère premier de souffre douleur, puis la malice de Poucet, elle illustre sa capacité à retrouver son chemin, à duper l'ogre en faisant passer ses frères pour les filles de celui-ci.

Mais la réalisatrice va plus loin, en se permettant quelques libertés dans la seconde partie du film, et en mettant en évidence le pouvoir de l'esprit entrepreneur et la domination naturelle de celui qui possède. Elle s'offre aussi au passage quelques fantaisies macabres mais amusantes, comme le rêve culinaire de son ogre (Denis Lavant, tout de costume vêtu), s'inventant nombre de recettes à base d'êtres humains, garçon ou fille, ou un final dans lequel les rapports de forces s'inversent et qui affiche clairement les préoccupations du script : perte de l'innocence, anti-capitaliste et rejet de la viande. Au final seule une question reste cependant en suspend : pouvoir avoir choisi un jeune garçon métisse, pour interpréter Poucet ? Ceci alors que toute sa famille semble sortie du terroir français, s'agissait-il là de représenter la mixité de la société française actuelle, ou de donner une idée de la voie à suivre ?

Source: Olivier Bachelard

03/09/11

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