L'arrivée à Cannes est toujours une épreuve. Un étonnant mélange d'excitation se mêle à une irrépressible inquiétude. Cette année nous voit investir un nouvel appartement, après une année où notre petit groupe était séparé en deux parties, réunissant nos 7 rédacteurs accrédités, une attachée de presse hyperactive et une journaliste aussi passionnée par le cinéma, que par la plage qui lui tend les bras. Malheureusement il y a une semaine, une grosse vague est passée par là, emportant nombre d'installations, remontées depuis, mais le temps n'est pas vraiment revenu au beau fixe, les températures privant les premiers arrivants d'un petit bain revigorant. La voiture garée à proximité, une pizzeria juste en dessous, le palais à 12mn à pieds, le festival aurait pu s'engager de manière agréable sans d'interminables problèmes de logistique.
Mercredi matin, tout est presque prêt, des carnets aux stylos lumineux, en passant par les barres de céréales nécessaires à la survie du festivalier. Ce soir l'équipe sera réunie, pour visionner le meilleur comme le pire, pendant 12 jours de projections, de films attendus en découvertes, 12 jours de passion cinéphile et d'accrochages idéologiques, dont vous retrouverez l'essentiel dans cette chronique quotidienne, accompagnée des liens vers les premières critiques. Notre rédaction sera aidée dans sa tâche par Auxence et un petit groupe d'élèves de Science Po Paris. De quoi assurer une couverture de la plupart des films présentés ici.
Mercredi 12 mai 2010
Jour 1: Une ouverture en présence de Russell Crowe et Cate Blanchett, mais sans leur réalisateur, Ridley Scott, convalescent
Séance très courue que l'ouverture, cérémonie assez courte, permettant de présenter un jury arrivé sur place durant les jours précédents, et de s'engager dans la fête autour d'un film qui fait l'évènement. Même si la saison d'été américaine a débuté il y a 15 jours avec "Iron Man 2", c'est l'un des autres poids lourds US qui fait les beaux jours de Cannes, ayant permis de faire venir sur la Croisette Russell Crowe ("Gladiator", "The sum of us", "Révélations"...) et Cate Blanchett ("Elyzabeth", "Le seigneur des anneaux") pour une montée des marches digne de ce nom.
Gaëlle, seule rédactrice à avoir eu les honneurs de cette montée des marches, nous livre à l'issue de l'ouverture, des impressions bien mitigées, trouvant ce récit des années militaires de celui qui devra plus tard le fameux "ROBIN DES BOIS", peu passionnantes. Titrant sa critique "Robin déçoit", elle ne cache pas sa frustration face à un scénario pourtant complexe, dont Sir Ridley Scott ne tire qu'une œuvre sans relief.
Lire la critique de "Robin des bois" (0)
par Gaëlle Bouché
Jeudi 13 mai 2010
Jour 2: Amalric en manager raté et Sara Forestier en nymphomane politique
Le premier film de la compétition, "CHONGQING BLUES" (0) nous vient de Chine, et s'intéresse aux errances d'un père à la recherche des causes de la mort de son fils. De retour après 14 ans d'absence, dans la ville industrielle de Chongqing, il découvre que ce dernier a pris en otage des clients dans un magasin et a finalement été abattu par la police. Rejeté par son ex-femme, toujours incapable de contrôler sa colère, il ne dispose que d'une bande de vidéo surveillance, pour commencer à comprendre. De rencontres en rencontres se tissent des liens complexes entre des êtres humains meurtris et souvent incapables de surpasser des traumatismes effectifs.
Le principe du récit, proche de celui de "Still life" de Jia Zhan Ke, la complexité des histoires parallèles en moins, exsangue malheureusement du moindre fond social, donne au final un film d'une lenteur éprouvante, dont les flashs-back agacent par le maniérisme de la mise en scène (couleurs sépias dans le magasin, luminosité exacerbée sur la plage...). Malgré la qualité de l'interprétation, le metteur en scène est incapable de générer une réelle émotion, se contentant de belles images, et d'une frappante peinture d'une ville champignon, survolée à maintes reprises par les protagonistes, lors de trajets dans un miteux téléphérique.
Au sein de la rédaction, ce film sur la puissance de l'instinct paternel ou sur l'absence du père, selon le point de vue adopté, divise. Mais comme chacun a droit à ses coups de cœur, nous avons choisi de défendre le film, Mathieu en faisant une peinture plutôt flatteuse dans sa critique.
Lire la critique de "Chongqing Blues" (+3)
par Mathieu Payan
Mathieu Amalric était déjà passé à la réalisation avec "Mange ta soupe", puis "Le stade de Wimbledon". Présent pour la première fois en compétition, il nous permet de suivre la "TOURNEE" (+2) en France, d'une troupe de show-women américaines, emmenées par un manager mi-dandy, mi-raté. Amalric interprète lui même cet espèce de monsieur Loyal à moustaches, qui a bien du mal à contenir les fortes personnalités qui l'entourent et donnent chaque soir un spectacle entre comique burlesque et érotisme assumé.
Le scénario démontre une connaissance pointue du milieu du spectacle vivant (ici une mouvance du music-hall dénommée Burlesque) et du monde de la nuit. Il pose habilement la question des choix artistiques faits au cours d'une carrière, menant d'un coté au star-system sous toutes ses formes (émissions télé, théâtre institutionnel...) ou à l'anonymat et la débrouille. Au fil du récit, les froufrous du début, les artifices, plumes et bijoux qui constituent les parures de chacun s'effacent peu à peu, laissant transparaître des êtres humains, dont le personnage de Mimi Le Meaux, déjà en piste pour un prix d'interprétation.
En dehors des scènes de "new-burlesque", on appréciera particulièrement les moments les plus intimes, ceux durant lesquels Amalric arrive à justement faire baisser le volume, ou à faire le silence. Ces moments magiques, dans une station service ou un hôtel désaffecté, créent avec l'agitation des spectacles, un équilibre précaire, que le réalisateur a su miraculeusement préserver. "Tournée" sortira en salles le 30 juin prochain, distribué par Le pacte.
Lire la critique de "Tournée" (+3)
par Gaëlle Bouché
Le cinéma roumain ayant depuis plusieurs années le vent en poupe, particulièrement à Cannes ("4 mois, 3 semaines et 2 jours" palme d'or, "La mort de Dante Lazarescu" grand prix Un certain regard, "California Dreamin' ", "Police Adjectif"...), nous étions forcément curieux de découvrir "MARDI APRES NOEL" (0), présenté dans la section Un certain regard. Après une première scène intime et touchante de complicité, impliquant un homme marié et sa maîtresse, tous deux au lit dans le plus simple appareil, le film ne parvient jamais à décoller. S'enlisant dans une banale histoire d'adultère, le scénario, à l'issue forcément malheureuse, s'avère sans grand relief. Reste un casting convaincant, trio en souffrance, dont les humiliations passagères ne frappent cependant que peu un spectateur en attente de plus d'originalité.
La journée se termine du coté de la Semaine de la critique, avec le premier des 7 films en compétition, représentant, une fois n'est pas coutume, Singapour. "SANDCASTLE" (+1) est un film gentiment nostalgique, tourné lui aussi vers la recherche d'un passé familial, non pas honteux, mais que l'on préfère cacher aux enfants. Suite au décès de son grand père, Xiang En, jeune homme de 18 ans, cherche à connaître la vérité sur son père, alors qu'il doit veiller sur sa grand mère, de plus en plus malade. Mêlant des images d'archives, contant notamment l'indépendance du pays, et un récit éparse d'un passé oublié par une voix-off qui engage à continuer à vivre sans cependant oublier les sacrifices familiaux, le film revêt vite un aspect répétitif. La petite musique qui berce la plupart des scènes a beau être charmante, elle n'en agace pas moins à la longue. Reste une touchante souffrance, ciment d'une famille habituée aux non-dits, dans laquelle la communication passe parfois par de longs silences.
Le film est précédé d'un court métrage français saugrenu, "LOVE PATATE", contant l'histoire d'amour d'un jeune homme et d'une pomme de terre ! Ce dessin animé traditionnel fait preuve d'un remarquable travail sur les ombres et reflets, et vire rapidement au film de genre (ici horrifique), avec quelques bonnes idées de mise en scène, lors de scènes de cauchemar (éplucher une patate revient à éplucher un visage), comme de vengeance des féculents, qui s'attaquent à une vendeuse de frites à la façon d'un sac de pop-corn. Un amusant conte de la folie solitaire.
Vus également:
En ouverture de la Semaine de la critique, se présente un drôle de film, dont on est à peine étonné de découvrir les difficultés de montage financier qu'il a pu rencontrer. Il faut dire que le réalisateur de "LE NOM DES GENS" (+2), Michel Leclerc, dont c'est le premier long métrage, n'y va pas avec le dos de la cuillère au niveau allusions politiques. Son héroïne, dans la vingtaine, estime que tout les gens de droite sont des fachos, et que coucher avec eux est la seule solution pour les faire revenir sur le droit chemin. Seule en France à porter un nom spécifique d'origine algérienne, elle va faire la rencontre d'un certain Arthur Martin (ils sont 12 000 en France), quarantenaire spécialisé dans les épisothies animales.
Dans une première partie, le réalisateur a choisi de leur faire raconter face caméra, les origines de leur famille, représentant pour lui un passé noir et blanc, et pour elle un passé vidéo, à l'image des films de vacances d'antan. Bourré de détails truculents, le récit de ces passés peu glorieux, aux origines juives d'un coté, arabes de l'autre, permet de s'attacher aisément à ce futur couple, formé d'un Gamblin incrédule face à une Sara Forestier débordante d'une vitalité provocatrice. Les petits tics familiaux sont mis à mal (passion pour les nouvelles technologies qui plantent, recueil de sdf en tous genres...) pour mieux permettre au spectateur de se concentrer sur les blessures réellement importantes.
Entre rire et émotion, le cœur du spectateur oscille. Et le scénario distille intelligemment son message qui tient en une simple citation, "Les origines ont s'en fout", et qui n'hésite pas à taper sur les lois récentes sur l'immigration. Un film à découvrir, qui lui aussi, fait la part belle aux douloureux secrets de famille et à la difficulté de communiquer entre générations.
Source: Olivier Bachelard
14/05
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