INTERVIEW

ROI DE L'EVASION (LE)

© Les Films du Losange

LE ROI DE L'EVASION


Alain Guiraudie

réalisateur – scénariste


Journaliste :
Beaucoup voient dans votre film un message politique. Qu’en est-il réellement ?

Alain Guiraudie :
Effectivement, c’est un film qui répond au monde normalisateur. La normalisation des temps modernes d’une part, où chacun est prié de trouver son étiquette et de s’y tenir ; et l’obligation d’autre part, de jouir et de consommer à tout prix. On vit dans un monde, à présent, ultra consumériste. Par exemple, la drague sauvage des bords de routes est réprimée, mais très vite c’est récupéré par internet de façon payante. Les boîtes gay, gay friendly ou échangiste fleurissent de tous les côtés, comme si le business voulait récupérer tout ça ! Mais le grand message politique est cette obligation à la norme. Sur la barrière Armand a la tentation de la normalisation, il se demande si le mode de vivre majoritaire : vivre avec un femme, avoir des enfants ne serait pas si mal finalement.

Journaliste :
En fait vous posez le problème à l’envers. Au départ ce personnage vit normalement son homosexualité pour ensuite basculer dans ce qui est anormal pour son entourage de départ : l’hétérosexualité.

Alain Guiraudie :
Vu, où on en est dans le débat sur l’homosexualité, si débat il y a, avec le mariage et les coming-out de personnalités de plus en plus fréquents, il me semblait intéressant de parler d’un personnage qui vire sa cuti à l’envers, qui se laisse aller à la facilité. C’est quand même la première fois où dans un de mes films l’homosexualité pose débat. En tout cas elle pose problème au héros et autour de lui tout le monde en parle. L’homophobie est presque sous-jacente.

Journaliste :
Mais ce côté politique, on peut aussi le trouver dans le fait que le film se déroule dans un milieu rural avec des acteurs aux antipodes physiquement de “la norme”.

Alain Guiraudie :
Oui, cela va à l’encontre de “la norme” qui dit que la sexualité et la sensualité ne concernent que des jeunes gens plutôt bien foutus, souvent d’un niveau social aisé et qui vivent dans des villes voire des capitales. Moi, avec ce film, j’avais très envie de revenir à moi, à Albi et sa campagne. Parce que j’y vis, c’est ce que je maîtrise le mieux actuellement. J’avais aussi envie de parler de ce monde un peu caché, de ces hommes qui préfèrent les hommes, parfois mariés, pères ou grands-pères, qui draguent en bord de route sans se sentir appartenir à la grande communauté gay.

Journaliste :
La construction de ce film par rapport à vos précédents n’est-elle pas plus classique ?

Alain Guiraudie :
Oui, “Le roi de l’évasion” dans sa facture et dans sa forme, est très classique. Pour celui-ci je n’ai pas du tout été dogmatique, je ne voulais pas partir sur une forme pré-établie, j’ai voulu le penser autrement, m’autoriser pour un fois du champ - contre-champ. Si on m’avait dit il y a 5 ans : “tu feras courir des gens en slip dans la pampa avec des violons derrière”, je me le serais interdit par une espèce d’auto-censure à la con, pensant que c’était ringard. En fait pour celui-ci, je me suis mis un peu plus de coups de pied au cul pour le faire marcher.

Journaliste :
Concernant le casting, le couple, si étonnamment assorti, est interprété par deux acteurs qui ,certes ne sont pas extrêmement connus encore, mais ont déjà un bonne expérience professionnelle. C’est un première pour vous ?

Alain Guiraudie :
En fait, je repars toujours de zéro avec le directeur de casting, je ne reprend généralement pas des comédiens avec lesquels j’ai déjà travaillé. Cela fait quelques temps que je souhaite me faire plaisir, en tournant avec des acteur plus connus. Il se trouve que pour celui-là on a vu apparaître du beau monde. C’est la première fois que je travaille autant sur le casting.

Journaliste :
Hafsia Herzi n’a t-elle pas eu peur de jouer dans ce film ?

Alain Guiraudie :
Je ne crois pas qu’elle se soit souciée de son image, elle a eu envie de le faire. Après, évidemment, quand on est une jeune femme de 20 ans, on tient à avoir des garanties sur des scènes comme celles de mon film. On a eu pas mal de discussions à ce sujet, mais dès l’instant que tout était clair, c’était OK. Elle s’est bien lancée dans cette aventure. De plus, cela lui a beaucoup plu qu’on lui propose pas un rôle de beurette.

Gaëlle Bouché
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