INTERVIEW

DE VRAIS MENSONGES

© Pathé Distribution

DE VRAIS MENSONGES


Pierre Salvadori, Audrey Tautou, Nathalie Baye, Sami Bouajila

réalisateur et acteurs


De grands rires débutent cette interview avec Audrey Tautou, Nathalie Baye, Sami Bouajila, les acteurs de « De vrais mensonges », et Pierre Salavdori, son réalisateur. Près d’une heure d’une interview où l’on abordera leurs souvenirs de lettres d’amours, la complexité de l’écriture des scénarios de comédie et leur joie de jouer dans celle de Pierre Salavdori. On est forcé de les croire quand on voit comment ils sont détendus et joviaux entre eux !

Journaliste :
Quels sont vos souvenirs de lettres envoyées à vos amoureux secrets ?

Sami Bouajila :
Moi, j’ai envoyé plein de lettres d’amour. Pas anonymes, mais j’en ai envoyé plein !

Nathalie Baye :
Moi aussi et je continue encore…

Pierre Salvadori :
J’ai bien reçu la tienne ! En tous cas, je trouvais intéressant d’ouvrir le film avec une lettre d’amour, avec quelque chose de très littéraire et presque un peu désuet. En même temps, je pensais que l’écriture disparaîtrait avec les nouvelles technologies, et au contraire c’est finalement omniprésent avec les sms et les e-mails.

Audrey Tautou :
Oui, mais contrairement aux e-mails, la lettre est un objet plus noble, on la garde…

Journaliste :
Ou on la jette !

Audrey Tautou :
Oui bien sûr, comme dans le film !! En tout cas c’est un objet : on peut le jeter ! Ça ne s’efface pas si facilement qu’un e-mail.

Nathalie Baye :
Il y a une différence que je trouve aussi fondamentale, c’est l’acte de l’écriture. Avec un e-mail ou un sms, la forme de l’écriture n’existe plus.

Audrey Tautou :
Et c’est une vraie démarche aussi.

Journaliste :
Est-ce que « De vrais mensonges » est un film qui contrebalance votre précédent « Hors de prix » ?

Pierre Salvadori :
C’est Truffaut qui disait cela : « On fait un film contre le précédent ». J’ai longtemps fait cela, mais là depuis deux-trois films, j’ai une obsession pour la comédie de fiction, de celle qui est à la limite du Vaudeville avec des personnages qui font face à des situations plus ou moins improbables et où la vérité des sentiments compte énormément. Alors qu’avant, j’ai fait « Les Apprentis » contre « Cible émouvante », puis « … Comme elle respire » contre « Les Apprentis ». Je pense en outre que mon prochain film sera contre « De vrais mensonges », parce que celui-là a été tellement long et laborieux à écrire.

Journaliste :
Qu’est-ce qui a été si difficile dans l’écriture de votre scénario ?

Pierre Salvadori :
C’était essentiellement dans la recherche de situations riches et plausibles. Quand on a trouvé l’idée d’enchevêtrer les histoires de semblants et faux-semblants, il a fallu parfois plusieurs semaines pour trouver les liens entre certaines situations… C’était très long et on se demandait parfois si on ne devait pas tout recommencer…

Audrey Tautou :
« De vrais mensonges » n’est pas juste une simple histoire, c’est un vrai engrenage comique. Entre ceux qui savent, ceux qui croient savoir, ceux qui essaient de cacher ce que d’autres croient connaître… C’est un vrai casse-tête qui reste vraisemblable de bout en bout grâce au gros travail d’écriture de Pierre et Benoît [Graffin, ndlr].

Journaliste :
Il y a une vraie théâtralité dans votre film, comment avez-vous travaillé cela ?

Pierre Salvadori :
C’est complètement revendiqué. Je préfère l’artificialité au cinéma vérité, la poétique au psychologisme.

Audrey Tautou :
Quand on regarde « The Shop around the corner » [film américain de Ernst Lubitsch – 1940], on peut aussi considérer qu’il y a de la théâtralité avec cette histoire de correspondance. C’est un genre de comédie avec une exigence artistique et une rigueur complètement assumées.

Pierre Salvadori :
Lubitsch a remis sur le devant de la scène les comédies berlinoises et viennoises des années 20-30 en les réadaptant pour Hollywood dans les années 50 et en en faisant un nouveau genre à part entière. Et ces comédies extrêmement populaires et raffinées ont influencé dans les années 80 des cinéastes européens grâce aux réalisateurs critiques et pédagogues de La Nouvelle Vague qui les ont faites redécouvrir. Le côté théâtral du film est très léger, il n’est pas évident mais il existe. Dans la maison de Maddy, on a installé des rideaux rouges et la scène de dispute avec Emilie est filmée comme au théâtre où les spectateurs au cinéma deviennent spectateurs au théâtre. La scène avec les ombres chinoises est comme un film dans le film avec Nathalie Baye et Judith Chemla en spectatrices.

Journaliste :
Pourquoi ne pas avoir tourné en studio si vous assumez complètement cette théâtralité ?

Pierre Salavdori :
Tout cela est une affaire de dosage. Par exemple, dans « Potiche » [de François Ozon – 2010], il y a trop de distanciation. A un moment, tout est trop affirmé. Moi j’ai besoin de croire en l’innocence des sentiments, du récit et des personnages. Resnais, qui a une inspiration énorme, peut faire ça. Chez lui, il y a un merveilleux équilibre de poétique, d’artificiel et de profondeur. Moi, j’ai trop peur du détachement et de la désinvolture. Au départ, nous devions construire l’appartement de Jean en décor et puis j’ai refusé, je voulais voir la ville et les rues de Sète. J’avais peur que le film soit trop froid quelque part.

Journaliste :
Vos personnages passent par des émotions complètement opposées. C’est un régal pour un comédien de jouer ce genre de rôles ?

Nathalie Baye :
Ces trois personnages, autant pour Sami, Audrey et moi, ce sont des cadeaux pour des acteurs, parce qu’il y a tout à jouer et sans tomber dans la performance.

Audrey Tautou :
On ne peut pas jouer un personnage si on n’adore pas ses défauts. J’ai donc aimé l’égoïsme, la lâcheté et la mauvaise foi d’Emilie qui sont liés à son manque de confiance en elle. J’ai aimé tourner la scène de l’entretien avec Jean après qu’elle l’ait découvert polyglotte et sur-diplômé. C’est marrant de la voir essayer de garder la face alors qu’on la sent anéantie et super complexée.

Journaliste :
La comédie, c’est un genre de cinéma dans lequel vous vous sentez à l’aise ?

Nathalie Baye :
Oui, quand votre rôle est bien écrit, il n’y a aucun problème. Quand je me retrouve pieds nus, c’est justifié, je cherche à connaître cet homme qui m’ouvre une fenêtre, je ne pense plus qu’à cela et je pars le suivre en robe de chambre et pieds nus dans les rues de Sète. Pour l’anecdote, j’ai failli y laisser mes pieds, parce que le sol était extrêmement chaud. Il a fallu me mettre des coussinets en silicone pour m’éviter une brûlure au troisième degré ! Mais j’étais super à l’aise et c’était une situation merveilleuse à jouer !

Audrey Tautou :
Ce n’est pas le genre de la comédie qui fait que je suis à l’aise. Pour moi, c’est le fait de jouer pour Pierre Salvadori, car j’ai une totale confiance en lui. Si je lui propose différentes choses pour une scène, je sais qu’il n’en gardera que le meilleur. Parfois, il m’appelait Jacqueline Maillant parce qu’il ne faut pas trop me pousser, j’ai tendance à beaucoup exagérer ! Au final, je suis très fière de notre travail à tous, je n’ai honte de rien.

Sami Bouajila :
Je suis d’accord avec ce qu’ont dit les filles. J’ajouterais que si on lâche prise et qu’on se lance avec confiance et en assumant ses peurs, je suis convaincu que ça ne peut que servir nos personnages. Pour « De vrais mensonges », j’ai adoré être ridicule, heureux, triste. On finit la journée et on est enflé de bonheur, je dirais !

Propos recueillis par Mathieu Payan
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