affiche film

© The Walt Disney Company France

ZOOTOPIE

(Zootopia)


un film de Byron Howard & Rich Moore

avec : les voix américaines de Jason Bateman, Ginnifer Goodwin, Idris Elba, Octavia Spencer, J.K. Simmons, Tommy Chong, Shakira, Nate Torrence, Bonnie Hunt, Don Lake, Jenny Slate, Alan Tudyk et françaises de Claire Keim, Teddy Rinner, Fred Testot, Thomas Ngijol...

Judy Hopps est une lapine dont le rêve est d’intégrer les forces de police de la ville de Zootopie, une mégalopole où les espèces animales cohabitent harmonieusement entre elles. Malgré un diplôme obtenu avec mention, la police de Zootopie ne lui donne comme seul travail que de coller des contraventions. Sa rencontre avec le renard arnaqueur Nick Wilde va très vite lui permettre d’enquêter sur une affaire d’animaux mystérieusement disparus…


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Photo film

Lapin (pas) crétin, renard (très) malin !

Quelques années après avoir absorbé les studios Pixar, le studio de l’oncle Walt serait-il en train de devenir réellement subversif ? C’est d’autant plus surprenant qu’on peine encore à se remettre d’"A la poursuite de demain", classique instantané – et bide injuste ! – sorti l’an dernier, où Brad Bird faisait mine de se couler dans le moule de Disney pour mieux y injecter en filigrane sa théorie humaniste et anticonformiste sur le futur de l’homme. On en ressortait avec deux certitudes en tête : le futur est avant tout une idée à concrétiser, et surtout, l’optimisme est désormais un acte de subversion. On sentait alors que l’âme des studios Pixar, qui en appelaient toujours au sursaut fraternel des individus face à toute forme d’aliénation et de conformisme (revoyez "Wall-E" ou "Ratatouille"), avait enfin réussi à supplanter pour de bon la pensée unique disneyienne. Qu’il s’agisse de John Lasseter, de Brad Bird ou d’Andrew Stanton, nombreux sont les réalisateurs à avoir su mixer intelligence d’écriture et appel à l’imaginaire, avec un degré d’excellence jusque-là exclusif à George Miller et Hayao Miyazaki.

Bon, soyons honnêtes, ce n’était pas ce qu’on avait à l’esprit en allant voir "Zootopie". Excités comme des fous après avoir visionné en boucle cette hilarante bande-annonce avec un paresseux (le fou rire est toujours aussi puissant !), on partait plutôt sur l’idée de se payer une bonne tranche de rigolade, si possible dans le même esprit déjanté qu’un "Kuzco" ou un "Aladdin". La surprise n’en fut que plus belle. Car si les occasions de casser le robinet à fous rires seront plus que nombreuses, on est ébloui d’y retrouver le même état d’esprit qu’un film Pixar (en même temps, avec Lasseter à la production, c’est assez logique). Les enjeux sont posés dès le départ : autrefois divisés en « proies » et en « prédateurs », les animaux sont désormais réunis tous ensemble dans une mégalopole utopiste où l’équilibre entre les espèces est maintenu autant que possible. Sauf qu’une petite lapine souhaitant faire régner la paix dans un tel univers rempli d’animaux souvent imposants, ça ne semble pas très sérieux. Qu’à cela ne tienne ! Après tout, il y a dix ans, un tout petit rat d’égout se révélait cuistot de génie dans un restaurant quatre étoiles de Paris, alors…

Les bases humanistes de "Zootopie" sont là : un héros ne veut pas s’enfermer dans la case qu’on lui a imposé, son émancipation passe par une activité rêvée dans une cité représentant l’utopie parfaite de communion entre les différentes espèces, et de nombreuses péripéties (en l’occurrence une enquête policière aux ramifications plus souterraines que prévu) vont le mettre à l’épreuve pour lui intimer de tenter l’impossible. Ce qui donne néanmoins un gros « plus » dans ce parti pris scénaristique, c’est que ce brillant coup de taser donné au formatage sociétal passe ici avant tout par un jeu savant sur les proportions. Dans un premier temps, en passant d’une scène à l’autre, on a presque le vertige à tenter de dénombrer toutes les idées visuelles qui mettent en avant l’organisation de Zootopie en termes de taille, d’échelle et de perspective, que ce soit pour illustrer l’équilibre entre les espèces ou pour créer le gag par une simple parallaxe.

Mais dans un deuxième temps, cette logique se brise : c’est en prenant le risque de rompre l’équilibre ou d’en subir elle-même les conséquences que Judy pourra résoudre son enquête. Premier exemple : en poursuivant un voleur de sa taille, elle cause la panique dans le quartier des petits rongeurs. Deuxième exemple : lors d’une fuite sur un pont suspendu pour échapper à une panthère enragée, la violente agitation du fauve rend le pont soudainement instable, cassant ainsi l’équilibre nécessaire à la résolution de l’affaire. Le film s’en tient alors à une joyeuse entreprise de démolition, où nos attentes sont systématiquement vrillées. Ici, un très dangereux mafiosi peut s’avérer être un minuscule rongeur gardé par de gigantesques ours polaires, un éléphant adepte du yoga peut tenir la position du lotus avec une étonnante souplesse (!), un tigre du Bengale peut jouer les vahinés dans un concert de Shakira, un paresseux aussi lent qu’un zombie peut occuper un poste administratif (bon ça, en même temps, ce n’est pas un scoop…), et plus généralement, un jeune gamin intolérant peut se transformer en ami solidaire une fois atteint l’âge adulte.

Par moments, les réalisateurs n’hésitent pas à utiliser ce déséquilibre à des fins métaphoriques : la peur de l’Autre, l’obsession sécuritaire, la manipulation médiatique et les paraboles discrètes sur le racisme sont autant de passerelles dressées avec notre époque actuelle troublée. Mais pour autant, c’est souvent dans la joie et la bonne humeur que le film transmet le mieux son message utopiste. Grâce à une mise en scène punchy qui ne finit pas une scène sans y avoir casé une bonne vingtaine d’idées folles, on se gondole plus d’une fois, en particulier lorsque Disney s’envoie lui-même des tartes à la crème dans le visage (le petit tacle lancé à "La Reine des Neiges" vaut son pesant d’or !) ou recycle à sa sauce la contre-culture populaire avec une sacrée intelligence (indice : une célèbre série télévisée est ici parodiée avec génie !). Jusqu’à un concert électrisant qui nous grave au fer rouge l’idée du « try everything » dans le cortex. Utopie accomplie !

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