© Paramount Pictures France
Dans une Amérique alternative de 1985, les super-héros masqués font partie du quotidien et l’Horloge de l’Apocalypse, qui signale l’aggravation des tensions entre les USA et l’URSS, indique constamment minuit moins cinq avant destruction nucléaire. Après la mort mystérieuse de l’un des premiers Gardiens, le Comédien, son ancien collègue Rorschach, le seul qui soit toujours en activité, enquête sur une possible extermination des justiciers masqués, tout en reprenant contact avec l’ancienne légion de ces super-héros dénués – tous sauf un – de super-pouvoirs...
Dans la grande lignée des romans graphiques adaptés à l’écran, sorte de mode cinématographique au succès sinusoïdal qui a cours depuis quelques années, « Watchmen » est un film curieux et instable, massivement bavard et totalement esthétisant, et pour ces raisons extrêmement difficile à vendre à un public qui serait tenté d’y trouver une palette de sensations fortes ou des séquences vertigineuses comme on peut en voir dans les classiques aventures de super-héros. Le roman graphique, dû au dessinateur Dave Gibbons et au scénariste Alan Moore, un habitué des salles obscures qui s’est déjà vu adapté de nombreuses fois (« From Hell », « La ligue des gentlemen extraordinaires », « V pour Vendetta »), se caractérise par une grande complexité narrative, un changement perpétuel de tonalité (entre polar, récit aventureux, drame, science-fiction), ainsi que par la profondeur psychologique des nombreux personnages qui peuplent ce monde uchronique.
Autant de qualités qui émoustillent les amateurs de comic books depuis la publication des douze volumes de la série en 1986 et 1987, mais qui rendent délicates les velléités d’adaptation des producteurs hollywoodiens. Ceux-ci aiment avant tout les films qui se casent d’eux-mêmes dans des catégories données et qui facilitent ainsi le travail du département marketing, mais les romans graphiques posent toujours un problème de visée commerciale ; et le public suit (« Sin City » d’après Frank Miller, « 300 », précédent film de Snyder) ou ne suit pas (« V pour Vendetta »).
Comme avec « 300 », Snyder, qui prend décidément goût dans sa mise en scène à une forme un peu pompeuse et grossière d’esthétisme extravagant et ostentatoire, réussit plus ou moins son pari visuel : son film est certes riche des tendances formelles modernes, mais il en use et abuse sans vergogne, comme du ralenti. Rien à redire, ou si peu, sur le plan narratif : bien qu’il s’avère délicat de synthétiser, même en 2h40, toute la richesse du matériau d’origine, la densité et la profondeur de celui-ci permettent d’en tirer immédiatement une substantifique moelle qui, à l’écran, devient un récit absolument cohérent et joyeusement mystificateur.
Snyder insiste en particulier sur les nombreuses possibilités sous-thématiques du roman : le brouillage des frontières identitaires entre le masque et la réalité (chez Rorschach surtout, sans doute le personnage le plus réussi avec le Comédien), la réécriture forcée de l’Histoire vue par le prisme des super-héros américains, le melting pot des références politiques, philosophiques, culturelles, religieuses, métaphysiques, ainsi que l’idée, très shakespearienne, du monde (et donc du film) comme vaste fumisterie grandiloquente (« tout ça n’est qu’une blague » nous dit-on).
Mais – car il y a un « mais » – Snyder ne semble savoir que faire de tous ces puits sans fond que ses deux scénaristes, décortiquant le travail de Moore, lui ont offerts pour densifier une histoire dominée par les passions et les frustrations de personnages extraordinaires, définitivement humains (à l’exception du Dr Manhattan, créé lors d’un accident scientifique, capable de percevoir simultanément passé, présent et avenir et de contrôler la matière) et sociopathes sur les bords. Quand chacun d’eux a donné à voir sa propre philosophie du monde, quand le récit parvient à son terme après nous avoir gaiement filmé une Histoire revue et corrigée par les Watchmen (dans le générique de début, on voit l’un d’eux tirer sur Kennedy derrière la fameuse palissade sur Elm Street), on se demande à quoi mène tout cela.
Et la réponse, sans doute : à pas grand chose. Car Snyder, aussi doué soit-il, n’est peut-être pas autre chose qu’un geek dont les références culturelles semblent bouillir au cœur d’un mélange improbable d’émissions de télévision, de comic books et de jeux vidéo. Ce n’est toutefois pas une raison pour bouder un résultat mitigé, mais intéressant : « Watchmen » se regarde avec un certain plaisir tout aussi intellectuel que visuel.
Cinémas lyonnais
Cinémas du Rhône
Festivals lyonnais