© Haut et Court
Jeanne part pour le Japon en compagnie d’une interprète dans le but de se mettre à la recherche d’une plante médicinale rare appelée « Vision ». Sur place, dans la forêt de la préfecture de Nara, elle fait la connaissance du garde forestier Tomo. Celui-ci en arrive à la guider sur les traces de son passé, dans cette forêt où, vingt ans plus tôt, Jeanne a vécu son premier amour…
D’entrée, précisions que le titre original du film (« Vision ») est à double sens : il désigne autant une présence fantomatique captée à l’œil nu qu’une plante médicinale légendaire, capable selon la légende de guérir l’individu de sa douleur et de sa tristesse. Rien qu’en sachant cela, on devine bien de quoi il va être question dans le nouveau film de Naomi Kawase : cette quadra Française qui part à la recherche de cette plante en pleine forêt va bien évidemment entamer une quête expiatoire, reliée à un passé qui la hante et que l’on suppose être en lien avec la maternité (une intuition, comme ça…). On vous laissera vérifier vous-même de quoi il en retourne, mais ce principe narratif désormais plus éculé qu’autre chose (car relié à une symbolique grosse comme une maison) tend à affaiblir la puissance d’un récit que Kawase a pour une fois conçu comme une passerelle entre les deux styles qui ont marqué sa filmographie. D’un côté, le mauvais – période "Moe no Suzaku" ou "Hanezu" – qui s’en tient à une lecture prosaïque et illustrative des enjeux sur un mode pseudo-documentaire. De l’autre, le bon – entamé avec le magnifique "Still the Water" – qui délaisse la caméra portée pour l’approche sensitive d’un récit ancré sur le rapport entre le concret et le spirituel. Et de ce fait, on se retrouve ici avec un film schizophrène, presque coupé en deux.
Au début, sur la première moitié, on fait d’abord la grimace. Si elle a heureusement abandonné depuis trois films la caméra portée pour au contraire donner chair à des plans sublimement (com)posés, Kawase semble en effet revenir à ses premiers amours : un pensum plus ou moins vaniteux où tout est expliqué, surligné et simplifié jusqu’à couper tout lien sensitif avec le spectateur. D’autant que la réalisatrice n’est pas aidée par son actrice principale. Ne nous y trompons pas : loin de nous l’idée de retourner notre veste par rapport à Juliette Binoche, mais la voir constamment aborder un rôle comme un prétexte à proposer toute la « palette » du jeu d’actrice a fini par devenir exaspérant. L’actrice, que l’on sait pourtant très généreuse dans son appropriation d’un personnage, en fait beaucoup trop dans un film qui réclamait sans doute davantage de retenue : Juliette rit, Juliette pleure, Juliette regarde dans le vide, Juliette se déshabille, Juliette s’épuise, Juliette cuisine des spaghettis bolognaises, Juliette fait l’amour, Juliette minaude, Juliette marche en forêt, Juliette est prise de malaise, Juliette ceci, Juliette cela… Dans ces moments-là, Kawase semble effacée, pour ne pas dire écrasée par une actrice qui tient le récit à sa place. Un peu comme si le film devait se résumer à un combat entre elles.
Heureusement, les choses s’améliorent grandement par la suite, le temps pour Kawase de reprendre l’avantage et de laisser tomber son prosaïsme pour au contraire donner à tout son montage une logique on ne peut plus mémorielle. Dans ces moments où chaque fibre de la nature ne cesse de s’embraser (on n’a jamais vu un film où le vent passe à ce point-là pour un personnage parlant), où les analogies visuelles s’enfilent comme des perles (les arbres balayés par le vent ressemblent à des algues balayées par le courant), où certains plans reviennent tels des leitmotivs (dont un, assez limpide, qui filme un personnage marchant dans un long tunnel) et où l’ahurissante beauté des plans lorgne clairement du côté de Terrence Malick (on a même droit à un court « Esprit, où es-tu ? » en voix-off), le film devient magistralement sensoriel, visant de ce fait la zone la plus viscérale – donc la plus intime – de son audience et agissant sur ses propres stimuli pour le mettre dans la même position imprégnatrice que son héroïne. De là à dire que "Voyage à Yoshino" se voulait lui aussi une sorte de médicament zen et apaisant pour son public, il n’y a qu’un pas. En tout cas, si tout le film avait pu être à l’image de cette magnifique seconde moitié, Kawase aurait pu signer son meilleur film. Dommage qu’une actrice trop control-freak ait empêché cela…
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