© Bac Films
Serge est vendeur pour une chaîne de magasins spécialisés dans les cuisines équipées. Et il est le meilleur, une véritable star dans son milieu. Son fils Gérald, en revanche, est plus doué pour concocter de bons plats mais il n’a pas le même sens des affaires : son restaurant est en train de couler. Gérald vient alors solliciter son père pour qu’il l’aide à se faire embaucher provisoirement comme vendeur. Serge est réticent, car il est persuadé que son fils n’est du tout fait pour ça…
Sylvain Desclous traite un sujet – le monde de l’entreprise – que son parcours lui a permis de connaître suffisamment : des études d’économie-gestion (entre autres), des organisations de séminaires d’entreprises parmi les boulots de sa carrière pré-cinématographique, et plusieurs courts métrages où il a déjà développé ce thème. C’est donc en terrain connu que le réalisateur s'aventure avec son premier long métrage, cela lui permettant sans doute d’aborder avec plus d’aisance cette étape toujours délicate.
Or, il dépeint plutôt brillamment ce monde assez impitoyable de la vente, avec authenticité sans pour autant verser dans le réalisme social de type Dardenne, s’autorisant notamment des touches d’humour qui permettent d’éviter un film trop plombant. Quand apparaît Gilbert Melki, avec sa tchatche et ses lunettes de soleil, impossible de ne pas penser, ne serait-ce qu’un instant, au Patrick Abitbol de "La Vérité si je mens !" qui l’a fait connaître auprès du grand public ! Mais cette impression est vite dissipée, car le rôle de Serge est beaucoup moins caricatural et le ton du film bien plus sérieux dans l’ensemble.
Malgré le côté parfois un peu pédagogique, "Vendeur" (dont le titre n’est, il faut l’avouer, pas très vendeur lui-même !) décrypte avec brio les tactiques de manipulation et propose une vision sans complaisance du métier décrit, n’oubliant ni la solitude des personnages, ni leurs excès en tous genres (alcool, drogue, prostitution, mensonges…). Là où le film excelle, c’est dans les parallèles qu’il suggère au sujet des vendeurs, même si cela manque parfois d’implicite. Outre le côté arnaqueur du métier (qui pourrait être un poncif mais que le réalisateur traite avec justesse et sans tabou), Desclous compare à la fois le métier de vendeur à celui d’acteur (Gérald a un déclic lorsque son père lui rappelle une pièce de théâtre dans laquelle il avait joué à l’école, et certaines des meilleures scènes ont justement un côté théâtral assez captivant), à la séduction en général (« Il faut qu’elles m’aiment », clame Serge lorsqu’il évoque sa mission : convaincre les clientes) ou même à la prostitution (« Pute ou vendeur, c’est pareil, non ? », provoque Chloé – l’excellente Sara Giraudeau).
En revanche, là où Desclous dévisse (excusez le jeu de mot, c’est juste une bricole, n’y faites pas attention), c’est plutôt dans l’évolution du personnage de Gérald, dont la conversion en vendeur efficace s’avère beaucoup trop brutale pour qu’on la digère sans ciller. Si Pio Marmaï incarnait parfaitement le fils timide et mal à l’aise du début, il finit par en faire trop après la prodigieuse révélation professionnelle de son personnage. La deuxième partie du film paraît ainsi un peu plus hasardeuse, avec des ficelles parfois un peu trop faciles (oh, tiens, Serge finit par avoir des problèmes de santé et Gérald devient un grand séducteur, sans déconner !). Si le changement de comportement des personnages (oui, Serge change aussi un peu, mais plus progressivement) permet de développer la relation père-fils sous un autre angle (en renversant aussi le rapport par l’introduction subtile du personnage du grand-père), le film devient un peu plus maladroit et la fin trop expéditive. Dommage.
Le film pose cependant aussi question sur la place des femmes. Certes, il brosse le tableau d’un milieu très masculin et très macho (Desclous le souligne lui-même en interview), mais cet aspect est trop timidement critiqué ou remis en cause, voire pas du tout. Le cliché qui veut que c’est la femme qui choisit d’acheter (et qu’il faut donc cibler en priorité) est rabâché et peu contredit, le film proposant même une image de cliente nymphomane dans une des scènes les plus grossières. La seule vendeuse du film (incarnée par la forcément charmante Andréa Brusque) est sans doute aussi séductrice que les personnages masculins du même métier, mais ce n’est pas l’utilité professionnelle de cet atout qui est utilisée (je vous laisse deviner). Et la prostitution est montrée comme une activité plutôt romantique, Desclous nous gratifiant même d’un coup de foudre entre la pute et son client ; seule une double lecture (possible) des scènes concernées permet d’éviter de justesse la vulgarité que peuvent prendre certaines répliques (« On se marie et j’te suce tous les jours »… la classe !). Notons malgré tout que le film évite l’esthétique obscène et aguicheuse qu’on pourrait redouter dans certaines scènes (en termes de nudité, cela se limite à un plan du postérieur de Sara Giraudeau dans une ambiance tamisée) et que le personnage de la femme de Gérald (Clémentine Poidatz) est peut-être le seul poil à gratter – quoique trop secondairement exploité – dans cet univers misogyne. On attendra mieux de Desclous, dont le projet suivant devrait tourner, selon ses propres annonces, autour d’une jeune femme dans l’univers de la politique.
>>> En partenariat avec l'association EgaliGone
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