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L’existence quotidienne de David Pelame mériterait de figurer dans un volume Vie de merde. Quand il rentre de son boulot d’avocat qu’il déteste, David subit le mépris de sa femme et de son beau-père, et échoue à communiquer avec ses deux enfants. Bref, les perspectives d’avenir ne sont pas fameuses. Lorsqu’il trouve par hasard un sac contenant des sachets de cocaïne et un téléphone portable rempli de contacts de clients potentiels, c’est l’occasion pour lui de changer du tout au tout de projet de vie…
C’est une famille banale, semblable à beaucoup d’autres, dont la vie est rythmée par les contraintes, les frustrations et les petites querelles du quotidien. A priori, « Une pure affaire » ressemble à la plupart des productions françaises, nombrilistes et austères, concentrées sur un minimum de personnages et un maximum de dialogues. Au boulot, David Pelame se fait doubler par un collègue plus frondeur que lui – un « hunter » comme on dit dans le jardon des avocats – qui lui vole un rendez-vous avec un client. Son bureau minuscule, digne du placard à balais de Jonathan Pryce dans « Brazil », n’en paraît que plus étriqué. A la maison, les choses ne s’arrangent pas : le poulet du repas de Noël n’est pas cuit, sa femme se moque ouvertement de lui, son beau-père le regarde d’un œil torve. Quand Christine lui offre un cadeau alors qu’ils avaient convenu de ne rien s’acheter, excédé, il se pique d’aller promener le chien... et tombe sur le sac providentiel dans un bois.
Dès lors qu’il a ouvert la boîte de Pandore, le film s’éloigne de la rive ennuyeuse de la production « à la française » pour ne plus risquer de s’y échouer, préférant, au sable fin de la comédie puérile, les galets saillants et coupants du cynisme et de l’amoralité. David va se lancer avec maladresse et candeur dans le commerce de la coûteuse poudre blanche, trouvant dans la substance illicite une porte de sortie vers une existence meilleure. L’excitation de la vente en sous-main remplace la monotonie d’un travail rébarbatif. Bientôt, le nouveau caractère de David le fait remarquer aux yeux gourmands – et peu éthiques – de son patron, incarné par le « dupontelien » Nicolas Marié, qui trouve chez son habituel sous-fifre une ambition nouvelle et dénuée de scrupules. Quand miroite la possibilité d’une belle promotion, David fait péter les billets de banque et offre à sa femme bijoux, champagne et sourires. Jusqu’à ce qu’elle découvre ce que cache cet inédit besoin de bling bling et décide… de donner quelques leçons de commerce à son mari.
Les apparences étant trompeuses, la bonne humeur d’ « Une pure affaire » dissimule la fragilité à fleur de peau des protagonistes, et inversement : leur précarité est elle-même relayée par un enthousiasme à toute épreuve. Le premier long-métrage d’Alexandre Coffre, dont le passé de réalisateur de publicités n’empiète jamais sur l’esthétique, contrairement à nombre de ses homologues américains, vogue avec talent entre deux crêtes psychologiques, basculant alternativement de la comédie au film noir et de la chronique familiale au témoignage social. Dès l’ouverture, Coffre déploie une vaste ambition tant formelle que narrative : un long mouvement d’appareil parcourt la maison du couple avec une sorte d’avidité scopique, monte jusqu’à la chambre parentale, et s’approche de David qui dort paisiblement dans son lit ; ouverture doublement symbolique, entre le coup du sort qui s’apprête à frapper et le goût du réalisateur pour le mouvement et l’amplitude de la mise en scène.
C’est qu’ « Une pure affaire » se veut être une production audacieuse, et prend les risques qu’il faut pour cela. Le long d’un récit parfaitement amoral qui, comme dans un tourbillon, empoigne et happe une brochette délirante de protagonistes – Christine, le beau-père, les enfants, le patron, le collègue arriviste, le propriétaire du fameux sac et son laconique bras droit – Alexandre Coffre multiplie les scènes d’anthologie et les bons mots, profitant jusqu’à la moelle de la remarquable qualité de ses comédiens, François Damiens et Pascale Arbillot en tête. L’humour désinvolte du premier rentre régulièrement en collision avec les crises de nerf (effarantes) de la seconde, et le couple qu’ils forment, tantôt candide, tantôt bourré de principes absurdes, habite naturellement les meilleurs moments du film. Coffre a choisi, en adaptant le roman du Britannique Matthew Kneale, « Poudre » , de substituer à son dénouement trop sermonneur (le personnage principal y finissait en prison) une conclusion parfaitement amorale, continuation somme toute logique du cynisme qui fait foi durant l’essentiel du récit. Les Pelame ont beau jeu de se donner bonne conscience en instituant des règles de conduite – pas de vente aux adolescents, une gestion entrepreneuriale des stocks, etc. – celles-ci volent en éclat dès que l’on se rappelle l’objet même de leurs nocturnes transactions.
Au-delà de sa drôlerie, le film explore discrètement le territoire du pamphlet, soulignant avec son acuité délicate les difficultés quotidiennes de la classe moyenne en France. Le réalisateur invoque, en guise d’influences lors de l’écriture du scénario, certains faits de société révélateurs du malaise actuel : sondage révélant la crainte des Français de se retrouver sans domicile, popularité immense du convoyeur de fonds Tony Musulin après qu’il a braqué son propre fourgon et s’est enfui avec plusieurs millions d’euros… En marge du méli-mélo familial, l’ « affaire » du titre est également celle de toute une génération qui voit ses perspectives d’avenir s’obscurcir progressivement, et qui n’hésiterait plus sans doute, au moment opportun, le dos au mur, à franchir la ligne blanche.
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