© Mars Distribution
Marco est un skinhead. En compagnie de ses amis, il passe son temps à cogner les Arabes et à coller les affiches de l’extrême-droite sur les murs. Au fil du temps, il sent que cette haine irraisonnée et absurde est en train de partir, et il se décide finalement à tourner le dos à ce quotidien afin de se racheter. De leur côté, ses anciens amis poursuivent leur chemin sur la voie de la haine, certains finissant en prison, d’autres évoluant vers des destins plus politisés…
Vu le nombre extrêmement faible de copies dont ce film disposera sur l’ensemble de l’Hexagone, il apparaîtrait logique de le privilégier par-dessus les autres sorties de la semaine. La raison principale serait de considérer qu’un petit film aussi sec et punchy, ne bénéficiant pas du soutien médiatique dont il a cruellement besoin, apparaîtra toujours plus intéressant qu’un énième blockbuster visant à voir un Gardien de la Galaxie faire de la moto au beau milieu d’un regroupement de vélociraptors. Mais au vu d’une actualité toujours plus déprimante, d’une crise sociale qui persiste à s’aggraver et d'un contexte de haine raciale qui tend aujourd’hui à faire passer le 11 janvier pour un événement éphémère, on ira plus loin : voir – et soutenir – le deuxième film de Diastème (après l’attachant "Le bruit des gens autour") se révèle d’utilité publique, aussi bien en raison de ses qualités cinématographiques que parce qu’il donne le pouls de la France d’aujourd’hui comme peu de films ont su le faire (on avait fini par oublier que, dans « France », il y a « rance »).
Vendu comme la rédemption progressive d’un skinhead au départ nourri de haine et de violence abjecte, "Un Français" n’en fait pas pour autant son propos central. Cette thématique n’est en fait que le fil directeur de l’intrigue, qui prend d’ailleurs soin d’évoquer en parallèle deux trajectoires opposées : d’un côté, celle de Marco (excellent Alban Lenoir) qui se débarrasse de son idéologie haineuse pour retrouver une place dans la société, et de l’autre, celle de ses anciens amis skinheads qui persistent au contraire dans leur militantisme aberrant. Tandis que certains finiront par mourir ou par croupir en prison, d’autres, en général ceux qui se construisent une figure de leader et qui évitent de se salir les mains, seront toujours présents, invariables dans leur haine de l’Autre et désormais haut placés sur le terrain de la politique. Tout ceci est développé sur une plage temporelle très large afin d’englober très précisément l’historique de l’extrême-droite en France – le film débute par les années qui suivent l’élection de Mitterrand et s’achève aux alentours des rassemblements de la Manif pour Tous.
C’est précisément là que Diastème révèle le véritable propos de son film et touche du doigt un problème sociétal de premier plan : montrer comment l’extrême-droite a pu, en seulement trente ans, passer de simples revendications bêtes et méchantes en marge du système à une place d’attaque en or au cœur de l’échiquier politique national. Parce qu’au fond, cette idéologie haineuse, de plus en plus cachée sous les oripeaux de la respectabilité (il suffit de voir la stratégie de dédiabolisation entreprise par le FN depuis plusieurs années), n’est rien de plus que l’héritage toxique d’une bande de militants pathétiques et ignares, avant tout motivés par un désir immature de revanche sociale et une fascination sans limites pour la figure du leader. Toute la bêtise de ce militantisme sans autre fondement qu’un déversement de violence gratuite se voit donc ici stigmatisée dans toute son horreur (la violence y est sèche et frontale), tandis que le film se sert en parallèle du destin de son protagoniste pour lancer son appel à la tolérance.
En 2002, le réalisateur Gilles de Maistre avait tenté avec "Féroce" de révéler la vraie image des partis d’extrême-droite, avec le résultat que l’on connaît : un film caricatural, monté n’importe comment, tellement gavé de situations grotesques et de dialogues affligeants que tout son impact s’en retrouvait détruit. Diastème, lui, a cherché l’efficacité, la simplicité et le réalisme. Sa mise en scène, très « frères Dardenne » dans sa dimension subjective et immersive (beaucoup de plans-séquences très maîtrisés où la caméra reste collée à la nuque de Marco), est la pierre angulaire d’un montage énergique, précis et harmonieux, dont on regrettera simplement le choix trop récurrent des ellipses (celles-ci n’aident pas toujours à analyser comment Marco tend à évoluer vers le droit chemin) et quelques symboles un peu trop énormes (Patrick Pineau utilise une métaphore cosmique pour évoquer une société utopique). Mais peu importe ces très légers défauts, puisque le résultat est là : un brûlot humain et engagé qui remet les idées en place.
Cinémas lyonnais
Cinémas du Rhône
Festivals lyonnais