© Ed Distribution
Traqué par la police, Ulysse Pick, chef d'une bande de gangsters, rentre chez lui après une longue absence, avec pour idée fixe de retrouver sa femme Hyacinth. Cependant, la police assiège rapidement la maison et, tandis que les balles crépitent à l’extérieur, commence pour Ulysse et sa bande une longue nuit de fièvre, où les frontières entre réalité, fantasmes et souvenirs se font de plus en plus floues...
"Ulysse souviens-toi !" est un drame expressionniste des années 20. "Ulysse souviens-toi !" est un film de gangsters des années 30. "Ulysse souviens-toi ! " est une screwball comedy des années 40. "Ulysse souviens-toi !" est un film de maison hantée des années 50. "Ulysse souviens-toi !" est un teen-movie des années 90. En fait, "Ulysse souviens-toi" est tout cela à la fois, et même plus, car tout cela en même temps. C'est un peu comme si un projectionniste maladroit avait rangé dans un grand sac les bobines de plusieurs films différents, et les tirait au hasard lors de la projection.
Pourtant, tout commence de manière classique, dans un noir et blanc impeccable. Guy Maddin abandonne en effet pour ce film les filtres vieillissants qui donnaient à ses précédentes réalisations l'air d'avoir été tournées au kinétographe. Ici, l'image est nette, belle, bien cadrée. Et c'est important car c'est à peu près la seule chose qui sera claire.
Cernée par la police, sous l'orage, prise dans une fusillade, une bande de malfrats très "Bonnie and Clyde" se réfugie dans une baraque criblée de balles. Ulysse, le chef des gangsters, rentre chez lui, retrouver sa femme, Hyacynth. Ligoté sur une chaise, un otage attend dans l'angoisse. À travers les fenêtres on aperçoit les faisceaux lumineux des gyrophares. On s'attend à un film de siège, un huis clos tendu, un polar à l'ancienne : mais très vite tout dérape.
« Que ceux qui se sont fait tuer se mettent face au mur, les autres face à moi », demande l'un des gangsters, au moment de compter les pertes. Les autres personnages obéissent placidement, lançant une des règles du jeu formidable auquel nous allons assister. En effet, "Ulysse souviens-toi !" est avant tout un film puzzle qui va évoquer aussi bien les films de David Lynch (aux conclusions délibérément évasives), les chronologies sabotées d'Alain Resnais ("L'année dernière à Marienbad", "Je t'aime, Je t'aime") et les scénarios à twists de M. Night Shyamalan.
Ainsi dans "Ulysse souviens-toi !", nous aurons affaire à des morts qui s'ignorent, tandis que d'autres seront unanimement reconnus comme tels par les personnages, même s'ils continuent à agir et parler comme tout le monde. Mais faut-il vraiment croire ce que les personnages eux-mêmes croient et racontent ? Des indices nous sont lancés, mais les scènes se contredisent. Le genre du film change régulièrement, passant du mélodrame à la comédie et vice-versa. Les relations entre les personnages sont incohérentes. Leurs âges relatifs ne semblent pas naturels. L'époque où se déroule le film est de moins en moins précise. Le décor lui même ne cesse de se modifier, la maison immense où se déroule le film semblant être à géométrie variable. Les morts ressuscitent. Les fantômes ne sont pas ceux qu'on croit.
L'ambiance globale du film est celle d'un rêve agité où la mémoire et les motivations des personnages ne cessent de varier comme les reflets dans l'eau, une eau omniprésente dans le film puisqu'il commence sous la pluie, que la maison est construite autour d'un jardin intérieur où coule une source, que des personnages se noient, que la lumière qui passe par les fenêtres peut aussi bien être celle d'un phare évoquant le bord de mer, et que la maison s'agite parfois comme un bateau dans la tempête.
L'eau, c'est ce qui fuit, ce qui est mobile, ce qui échappe d'entre les mains, comme la mémoire s'échappe précisément lorsqu'on cherche à se souvenir de quelque chose. L'eau, c'est l'élément féminin par essence, et l'on retrouve là les obsessions habituelles de Guy Maddin qui nous propose avec Hyacinth un nouveau rôle de femme-mère désirable (comme dans "Careful"), forte et autoritaire (comme dans "Winnipeg Mon Amour" ou "Des trous dans la tête"), incarnée par Isabella Rosselini qui retrouve le cinéaste après "The Saddest music in the world".
Guy Maddin se paye aussi quelques unes de ses provocations coutumières (la nudité flasque de Louis Negin, quelques pin-up dont une électrique, une scène de fellation spectrale...) qui, si elles participent au climat de bizarrerie de l'ensemble, ne sont pas forcément les moments les plus passionnants du film. La où le film est le plus intéressant c'est dans le jeu de piste proposé au spectateur, qui se fera balader avec délices jusqu'aux dernières minutes, et qui continuera à reconstituer le puzzle longtemps après la projection.
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