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Paul Dédalus s’apprête enfin à rentrer en France après un long séjour au Tadjikistan. Mais une fois arrivé à la douane de l’aéroport, il est arrêté pour une raison inattendue : il existe un autre Paul Dédalus, né le même jour de la même année que lui et qui réside actuellement en Australie. Lors de son interrogatoire, Paul se souvient de trois moments-clés de sa jeunesse : son enfance à Roubaix en compagnie de parents difficiles, son voyage de classe en URSS où il avait offert sa propre identité à un jeune homme russe et, surtout, l’époque de ses 19 ans, celle où il croisa le regard de la belle Esther, l’amour de sa vie…
C’est parfois les surprenants effets secondaires d’une sélection cannoise : il arrive qu’une absence de sélection en compétition officielle d’un film globalement encensé par toute la presse parisienne en arrive à supplanter le débat sur les qualités et les défauts du film en question. Ici, point de débat de ce genre et place au film lui-même, nouvel opus d’un Arnaud Desplechin qui aura mis pas moins de vingt ans à concocter cette suite-préquelle de "Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle)". Soit le retour du personnage de Paul Dédalus, que l’on connaissait déjà sous les traits de Mathieu Amalric et d’Emile Berling (souvenez-vous de l’enfant donneur d’organes dans "Un conte de Noël"), et qui trouve trois nouvelles incarnations, pour le coup rajeunies. Un pur film mémoriel, donc, à forte connotation romanesque et foisonnante, mais qui, il fallait s’y attendre, condense à la fois les bons côtés et les tics exaspérants du cinéma de son réalisateur.
Comment résumer la patte Desplechin aux néophytes ? Pour faire simple, disons qu’il s’agit d’un cinéma romanesque à part entière, aussi riche que profond, gorgé de multiples références intellectuelles et d’audaces narratives en tout genre. Dans le meilleur des cas, cela donnait "Rois & Reine" ou "Un conte de Noël", opus pour le coup inoubliables où la question du « genre » était aussi bien une limitation à abolir qu’une définition à transcender. Mais hélas, dans le pire des cas, le cinéma de Desplechin se traduisait aussi par une propension à user d’artifices superflus (dont les ouvertures-fermetures en iris, placées un peu n’importe comment dans le montage) ou à exacerber la richesse intellectuelle du cinéaste à grands renforts de citations littéraires (ce n’était pas en faisant ça que Desplechin allait se débarrasser de son image d’intello). "Trois souvenirs de ma jeunesse" est, à ce titre, un film-somme pour le cinéaste, condensant les défauts et les qualités précitées au sein d’une narration pour le moins déséquilibrée.
Trois souvenirs, donc. Le premier, centré sur l’enfance, se révèle bâclé en moins de cinq minutes – on oublie vite. Le second, centré sur le voyage en Russie, n’évoque rien d’autre qu’un décalque – plutôt correct – de "La Sentinelle", de même que l’interrogatoire d’Amalric par André Dussollier renvoie à celui d’Emmanuel Salinger dans la scène du train du premier long-métrage de Desplechin. Le troisième, centré sur l’adolescence, est à la fois le plus long et le plus intéressant, celui où le cinéaste investit enfin la jeune galaxie. Sauf que chez lui, on s’en doute bien, la jeunesse est moins du genre à lire Stephen King qu’à dévorer des bouquins de Soljenitsyne, elle s’exprime moins dans le langage courant qu’en utilisant de longues phrases très écrites, et s’inspire davantage de personnages typiquement truffaldiens que de ceux de "LOL".
Cela dit, au-delà de cet aspect de film khâgneux qui sonde parfois les tréfonds du cinéma d’auteur imbu de sa propre suffisance, Desplechin réussit malgré tout l’essentiel : évoquer un moment-clé de l’adolescence, celui où une époque s’achève et où une autre s’annonce, ici symbolisée par le choc face à l’effondrement du mur de Berlin – belle idée. Ou comment se démener entre le désir de liberté qui s’évapore et la crainte de la vie réelle qui se cristallise, avec l’amour charnel comme point d’équilibre. Aidé par de jeunes comédiens très habités, le cinéaste se fait quasi entomologiste, sans pour autant laisser de côté son goût – formidable – des ruptures de ton, des faux raccords, des parenthèses burlesques et d’une mise en scène à la précision magistrale. Le résultat a beau être inégal, on ne saurait que recommander, malgré tout, son visionnage, si possible en laissant de côté le cirque cannois et les aprioris d’une presse parisienne décidément indécrottable. En somme, mieux vaut y aller en vous attendant au pire, vous pourriez être agréablement surpris.
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