© Finecut
Bossu, célibataire et employé dans une morgue, Jung n’a pas une existence des plus enviables. Pourtant, il trouve un sens à sa vie en mettant du cœur à la tâche, et en préparant méticuleusement les corps sans vie qu’il reçoit quotidiennement. Une routine sans encombre que vient perturber le retour de son frère, transsexuel, un être tout aussi marginal mais qui a choisi quant à lui de vivre une existence torturée…
Décors glauques d’une morgue sans fenêtre, lumière verdâtre, corps nus sans vie alignés et flaques de sang que l’on nettoie pendant des heures avec un simple linge blanc... Dès les premières secondes du film, on se doute qu’il ne s’agira pas d’une comédie romantique. Puis quand survient un homme au visage masqué par un casque de moto et à la démarche animale, qui décide aussitôt d’assouvir ses pulsions sur l’un des corps tout juste embaumés, l’ambiance devient franchement glauque.
Pourtant, « The Weight » est loin d’être un film d’horreur. Passée cette introduction quelque peu « poudre aux yeux » (on se demande, après coup, à quoi aura vraiment servi cette scène de nécrophilie), le film pose un regard bienveillant sur son protagoniste bossu, s’intéressant de près à son quotidien à la morgue (il y vit carrément), à ses problèmes de santé (arthrose et tuberculose…), à ses activités (dessiner et peindre des femmes nues) et à ses gestes appliqués, notamment lorsqu’il s’agit de nettoyer et préparer les corps. Cette répétitivité traduit une vie de dévotion, et à travers elle, une vie d’abnégation. Le regard vide de Jung ne laissant transparaître aucune émotion, on s’intéresse moins à son âme qu’à son corps difforme, qui semble ne subir aucune humiliation tant il est raccord avec le monde dans lequel il évolue.
Aussi, l’arrivée dans ce microcosme du deuxième personnage clé du film, à savoir le frère de Jung, fait l’effet d’une bombe. Incarné par une actrice au physique aussi gracieux que troublant (que l’on a pu découvrir dans plusieurs films de Kim Ki-Duk), il est l’exact opposé de Jung. Refusant de se résoudre à s’accepter tel qu’il est, il prend la vie à rebrousse-poil, n’hésitant pas à provoquer la terre entière, à communiquer son spleen et à vivre dangereusement. « Si nous mourrons, nous aurons peut-être la chance de renaître dans des corps plus réussis », dit-il à Jung dans un élan suicidaire. Un très beau personnage d’écorché vif, à la fois flamboyant et émouvant, qui va illuminer le film jusqu’à un final bouleversant.
Confrontant deux âmes blessées dans des corps qui les placent en marge de la société, « The Weight » livre moins une réflexion sur la tolérance (envers soi-même et envers les autres) que sur la différence, et le mécanisme de survie que chacun peut être amené à mettre en œuvre pour vivre avec. À cette dimension freak vient s’ajouter une intrigue familiale pleine de non-dits, autre couche dramatique du récit que viennent éclaircir de troublantes révélations finales. Un film douloureux, donc, rehaussé de jolis moments de cinéma (la rencontre avec un colibri dans une rue sordide, une valse imaginaire avec des corps ressuscités), mais dont la principale finesse réside dans les quelques sorties de route qu’il s’autorise, qu’elles soient caustiques (le duo de brancardiers, qui se laisse visiblement peu émouvoir par les morts qu’ils récupèrent), ou carrément étranges (l’homme/animal au casque de moto, franchement creepy). Surtout, « The weight », est un film visuellement abouti, qui n’en possède pas moins sa propre patte, se détachant ainsi d’une déferlante coréenne qui tend à s’uniformiser. Espérons maintenant qu’il saura trouver le chemin des salles françaises pour que vous puissiez en juger.
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