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Dans un futur proche, l’effondrement de l’économie occidentale a transformé la société australienne en un territoire moribond sans règles ni lois, où survivre devient un combat quotidien pour les survivants. L’un d’eux, Eric, a tout laissé derrière lui sauf sa voiture, qui lui tient étrangement à cœur. Le jour où il se la fait voler par un gang de trois personnes, il se lance à leur poursuite en compagnie de Rey, le frère simplet et abandonné de l’un des voleurs. Les deux hommes vont faire équipe pour un voyage dont ils ne peuvent soupçonner l’issue…
Le semi-choc "Animal Kingdom" pouvait-il être un heureux coup du hasard ? Avec ce second film, David Michôd nous prouve que non : loin du petit malin auréolé d’une réputation flatteuse suite à un premier long-métrage ayant traîné dans tous les festivals de la planète, le bonhomme met à terre nos pronostics les plus craintifs, en général ceux qui prennent l’allure d’une épée de Damoclès dès que se prépare le passage (toujours délicat) au second film. Mais là où cet exercice tend en général à pousser le jeune cinéaste à mettre les bouchées doubles en matière d’ambition, Michôd fait l’exact inverse et opte pour le refus absolu de toute caractérisation. La métaphore signifiante, la relecture arty d’un genre codifié, le décor délabré vu comme un territoire mental : rien de tout cela ici. La grande surprise de "The Rover" réside donc avant tout dans une propension inédite à l’épure la plus cristalline, déroulant son propos et sa richesse stylistique au travers d’une ligne narrative d’une précision métronomique, sorte de route caniculaire qui tranche un territoire ravagé jusqu’à l’horizon.
Le décor et le concept sont d’ailleurs plantés en à peine trois scènes : un territoire post-apocalyptique qui suinte la mort, une bagnole volée, un homme furieux filant avec un otage sur l’asphalte brûlant pour la récupérer. Rien de plus. C’est peu, et c’est pourtant déjà beaucoup. Le prétexte narratif est si basique (et en même temps si limpide) qu’on en devine la vraie orientation du projet : suivre un Guy Pearce lancé à toute vitesse vers un mystérieux objectif, limitant ses dialogues autant que possible au profit d’une pulsion de colère qui stagne au niveau le plus élevé sans aucune baisse de rythme. Il n’est donc question que d’une suite d’obstacles et de blocages à surmonter, déclinés et répétés à l’usure tout au long d’un road-movie épique, lequel intègre des clichés assez pittoresques (un nain, une vieille proxénète, un vendeur récalcitrant, un militaire borné, etc…) pour mieux les désintégrer par les règles les plus basiques (en gros : avancer sans s’arrêter, et même tuer si nécessaire) dès que le récit menace de renouer avec des codes plus convenus (le récit bloque alors la tentative par une pirouette, un coup de feu ou un dialogue avorté). Aucune place pour le raisonnement dans cette vaste Terre cuite, à part lorsque les deux protagonistes s’accordent une pause, comme ça, juste pour bavarder, quitte à ne rien sortir d’autre que des banalités ou à laisser filtrer de temps une vraie tristesse du désespoir.
Au travers de cette fuite en avant engagée contre la notion même de « vie », et donc en accord parfait avec l’interrogation-clé de tout survival (quel est le prix d’une vie ?), tout le film semble ainsi renouer avec l’imaginaire développé par George Miller dans "Mad Max", du décor australien post-nuke aux poursuites en caisse filmées au ras du bitume en passant par la violence d’un monde dévasté où la sauvagerie reprend le dessus. Il n’empêche que le nihilisme du film, volontiers aride et paralysant si l’on en juge par le rythme très lent du montage, laisse ici de côté la rage explicite qui imprégnait l’œuvre de Miller. On aura beau regretter un épilogue aussi superflu que maladroitement explicatif, Michôd parvient à tout miser sur le jaugeage de ses deux acteurs, sur le renvoi permanent de leur (in)humanité à la manière d’une balle de tennis, sur une tension qui vibre autant par leur puissance d’incarnation que par le détournement décalé de la bande-son (voir à quel point un insert pop ou un simple coup de feu procurent ici un sursaut monstrueux). Il n’en fallait pas plus pour que ce pur film de genre (car il ne s’agit que de cela) troque son apparente enveloppe de « film de petit malin » pour celle de « film malin » tout court. Face à un Guy Pearce habité comme jamais, Robert Pattinson poursuit avec brio sa mue artistique et sidère ici par son jeu extraterrestre.
CONTRE : Niveau 0 - Road trip à l'hémoglobine
Trois ans après "Animal Kingdom", David Michôd revient avec un thriller d’anticipation hypnotique, dans lequel les fondements de la société se sont effondrés et la loi du plus fort et du mieux armé règne. Dans le contexte d’un monde dans lequel plus rien ne semble avoir de valeur, et où les crimes restent impunis (sauf s’ils sont commis envers les aborigènes), le combat d’un homme pour récupérer sa voiture semble bien futile. Et pourtant, toute l’intrigue et la tension du film reposent sur le mystère qui plane autour de cette quête et sur ce que pourrait contenir cette voiture, de si précieux, qui mériterait une course poursuite impitoyable, violente et sanglante.
Pour entretenir cette atmosphère lancinante et pesante, Michôd a laissé peu de place au dialogue, préférant filmer les comportements agressifs, voir animaux, de ses personnages. Il a également choisi une bande son dépouillée et angoissante, qui évoque le bruit métallique de portes grinçante de western... Ainsi les spectateurs n’ont pas d’autres choix que de se concentrer sur les visages et la respiration des personnages, qui évoluent avec difficulté dans un territoire hostile et aride. Ce sont peut être ces figures stylistiques et cette ambiance qui feront en décrocher plus d’un, perdant rapidement l’intérêt de cette histoire, et surtout impatient de voir où on veut l’emmener. En effet, si on comprend bien que le réalisateur nous met à la place de Rey, le personnage interprété par Robert Pattinson – un type agonisant et un peu naïf – devient le compagnon de route d’Eric malgré lui, et se laisse transporter, sans trop savoir pourquoi, dans une direction qu’il n’a pas forcément envie de prendre… le spectateur aussi.
Même si l’on peut saluer la prestation de Robert Pattinson, qui n’hésite plus à abîmer son image de beau gosse depuis "Cosmopolis" de David Cronenberg, et celle de Guy Pearce méconnaissable les premières minutes, ce sanglant road trip à la "Mad Max" met beaucoup trop de temps à se mettre en place. Alors certes, "The Rover" (à traduire par « le vagabond », et non pas la marque de voiture !) pose la question de la valeur de la vie humaine dans un monde sans foi ni loi, et sera pour certains un bel essai philosophique sur ce que pourrait être le monde de demain, mais malheureusement il ne prend tout son sens que dans les cinq dernières minutes, et avant ça, il reste 1h45 à tenir…
13-06-2014
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