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1985. Devant une statue, une jeune femme lit un livre sur le Grand Budapest Hotel. Son auteur l'a écrit après une rencontre en 1968 avec son mystérieux propriétaire. Ce dernier commença comme groom, auprès du brillant Monsieur Gustave, en 1932, à l'époque où l’hôtel était bondé...
Après avoir fait l'ouverture de Cannes en 2012 avec "Moonrise Kingdom", Wes Anderson nous revient cette année avec un film présenté en ouverture, cette fois-ci, du Festival de Berlin, dont il est au final reparti avec le Grand Prix du jury. Il faut dire que l'auteur de "À bord du Darjeeling Limited", "La Famille Tennenbaum" ou "La Vie aquatique", fait preuve à nouveau d'une énergie débordante, alliant une multitude de personnages bizarroïdes, des idées saugrenues provoquant un perpétuel étonnement, des décors d'une cohérence surréaliste rare, et un scénario bourré de rebondissements, qui vous tiendra en haleine jusqu'au bout.
Dans son œuvre, toujours inventive, mais jugée par certains comme inégale ("La Vie aquatique" en étant certainement le maillon faible), le réalisateur a toujours cependant le mérite de composer à chaque fois un univers légèrement moqueur et décalé, auquel participent autant les personnages que les décors. Situant ici son action dans des montagnes évoquant les Alpes autrichiennes, avec pics rocheux improbables surplombés d'observatoires ou de téléphériques impossibles, il s'intéresse au destin d'un homme, Monsieur Gustave, concierge du Grand Hotel, accusé du meurtre d'une de ses clientes et conquêtes, que le spectateur accompagnera, tout comme son nouveau groom, de 1932 jusqu'aux portes de la Seconde Guerre mondiale. Convoquant l'imagerie d'une république d'Europe Centrale imaginaire, les décors permettent, en assumant leur aspect carton-pâte, d'affirmer le caractère romancé et surréaliste de l'intrigue, autorisant ainsi les scènes les plus improbables, comme l'incroyable poursuite à ski et ses diverses étapes inutiles, du slalom à la piste de bobsleigh en passant par le tremplin de saut à ski.
Construisant son film en un double flash-back imbriqué, Wes Anderson choisit un récit en voix off, centré sur le fameux mentor et ses manières de gentilhomme séducteur et parfumé avec « L'air du panache ». Il mêle habilement comédie décalée, film d'évasion et enquête improbable, le tout porté par des personnages excentriques (un maître d'hôtel qui se parfume plus que de raison, un tueur violent et fantomatique tout de cuir vêtu, une pâtissière avec la carte du Mexique en tache de vin sur la joue et qui ne sait concocter qu'un seul gâteau...). Qu'on adhère ou non à son humour, on ne peut enlever à l'homme son don pour la surprise et le plaisir de chaque instant, son art étant dans le détail (la photo du rapport d'autopsie d'un cadavre auquel on vient de couper 4 doigt, et qui ne comporte logiquement qu'une empreinte à la main droite... et 4 cases vides ; la traversée de la chambre des gardes lors de l'évasion de la prison...) et dans le choix d'un casting prenant plaisir à la caricature et à des situations absurdes.
Il réussit ici l'exploit de réunir autour de Ralph Fiennes un casting hors norme composé de près de 20 têtes d'affiche, qui fait la part belle aux gueules, aux postiches et autres grimages, que chaque interprète, même avec un rôle minime (Bill Murray ou Harvey Keitel par exemple) ou en grande partie silencieux (Willem Dafoe), semble revêtir avec un plaisir assumé. En 5 chapitres, Wes Anderson nous entraîne donc dans une course-poursuite aussi prenante que barrée, entre riches familles, vieilles dames argentées, soldats envahissants et société secrète des concierges d'hôtels 4 étoiles.
Comme l'aspect visuel de l'interprétation revêt un caractère primordial, son décor lui aussi se plie à ses fantaisies, traduisant visuellement certains états de fait (l'étroitesse des pièces des servants...), ou permettant d'arriver à la situation absurde souhaitée (la fusillade à l'étage lorsque l'hôtel est occupé par l'armée...). Lui-même dynamise par sa mise en scène les lieux à l'aide de plongées ou contre-plongées improbables, ou par des travellings mettant à profit le moindre recoin du décor. "The Grand Budapest Hotel" apparaît ainsi comme une œuvre jouissive où les situations les plus rocambolesques s'acceptent sans broncher. Un film trépidant, dont le rythme ne faiblit jamais, mais dont encore une fois l'émotion est la grande absente, l'humour semblant mettre une telle distance entre spectateur et personnage, que l'empathie ne fonctionne que moyennement. Reste un vrai spectacle, qui vous en mettra plein les yeux... et vous donnera l'envie de revenir visiter ce lieu si particulier. On en redemande.
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