© Paramount Pictures France
Lors du sauvetage de la civilisation primitive d’une planète exotique, James Kirk vient en aide à son ami Spock au mépris des règles de la fédération galactique, acte dont il doit répondre à leur retour à Starfleet. Dans le même temps, un mystérieux personnage du nom de John Harrison parvient à convaincre un employé de Starfleet de faire exploser une puissante bombe au cœur même des archives de la fédération, à Londres…
C’est à croire qu’il avait prévu le coup. Quand Kathleen Kennedy, la nouvelle présidente de Lucasfilm depuis le rachat de la firme par Disney, lui propose de diriger le prochain "Star Wars", Abrams a déjà terminé le tournage de "Into Darkness" depuis plusieurs mois. Pourtant, sa première séquence ressemble à s’y méprendre à une démonstration de force « starwarsienne », comme s’il avait pu entrevoir l’avenir à travers un trou noir. L’ouverture du douzième long-métrage de "Star Trek" s’ouvre sur la visite d’une remarquable planète sauvage, Nibiru, peuplée de superbes humanoïdes à la peau cendrée, promise à la destruction par l’éruption d’un volcan colossal. Voilà une civilisation et un décor planétaire qui n’auraient pas à rougir face aux inventions de George Lucas et ses sbires. Mais il s’agit également de l’entrée en matière la plus ébouriffante pour un "Star Trek" depuis les débuts de la franchise au cinéma en 1979, une plongée impressionnante dans l’univers de la fédération galactique et des mondes inexplorés qui a fait le sel de la série TV originale et de ses innombrables spin off. Le ton est ainsi donné par ce rappel liminaire : le voyage, la découverte et l’exotisme restent les vertus premières de la série créée par Gene Roddenberry. Et Abrams n’a pas l’intention de l’oublier, quarante-sept ans après le lancement de l’équipage mythique de l’Enterprise, vers l’infini et au-delà.
Les détracteurs de la série, adversaires de tout ce qui touche à l’espace et aux vaisseaux interstellaires, ennemis des dialogues sibyllins faisant référence à une technologie invraisemblable (torpilles à photons et hyper-espace, entre autres joyeusetés) ne pourront que fuir devant cette débauche de rêve, de fantasme et d’imaginaire que les Trekkies, ces fans de la saga, apprécient tant. Mais, à l’instar de ce qui a été fait avec les nouveaux épisodes de James Bond, Abrams a compris qu’il fallait ouvrir les mystères insondables de l’Univers à un plus grand nombre de candidats en dépoussiérant un vieux concept, sans pour autant le trahir. Ce nettoyage en règle passe, bien sûr, par des scènes d’action sensationnelles, un scénario à multiples rebondissements et un visuel très séduisant (certaines scènes ayant été tournées en Imax, un choix opéré par Abrams après une projection de "The Dark Knight Rises"). Exit, ici, les paradigmes métaphysiques et les questionnements philosophiques qui nourrissaient les scripts de la série originelle et des premiers films (voir l'article sur "Star Trek, le film"). Pour autant, Abrams n’en oublie pas qu’il est lui-même un adulateur de Starfleet et prouve, après un premier opus qui relançait avec succès une saga en bout de course, qu’il a définitivement trouvé la clé permettant d’ouvrir les vannes du plaisir chez les grands enfants que nous sommes, nous amateurs de science-fiction et de mythes universels.
Et cette clé réside dans la nostalgie. Ce n’est pas une surprise, venant d’un réalisateur qui a fait des sauvetages de franchises et des remises au goût du jour de genres désuets la base de sa créativité. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir ou revoir le film qu’il a mis en scène entre les deux "Star Trek", "Super 8", preuve supplémentaire qu’Abrams ne vit pas à la même époque que nous, mais baigne dans un temps béni qui est celui des productions naïves et spectaculaires des années soixante à quatre-vingts. Abrams partage les enjeux de son cinéma selon la distinction suivante : au travail visuel la modernité, au récit la réactivation d’un passé idéalisé qui n’est plus ou n’a jamais été. Ce schisme peut sembler schizophrène, tant le réalisateur a bien compris les possibilités induites par les techniques contemporaines d’enregistrement (le lens flare comme marque de fabrique visuelle ou, ici, l’usage de la 3D comme mise en perspective de la profondeur de l’espace en regard de la petitesse humaine), mais le résultat équilibre parfaitement émotion et sens aigu du cinéma.
Car "Into Darkness" n’est pas seulement un space opera rocambolesque mêlant d’impressionnantes scènes de poursuite à des combats spatiaux dignes de l’important investissement financier (185 millions de dollars de budget). C’est aussi une œuvre qui met ses personnages en avant et dévide progressivement les fils qui les unissent pour mieux les renforcer face à l’adversité. Chaque scène de poursuite, chaque affrontement spatial a pour objet de mettre en perspective la place de chacun des membres d’équipage de l’Enterprise (la dispute pré-décollage entre Kirk et Scotty, la présence à bord d’une mystérieuse passagère, la querelle malvenue entre Spock et Uhura en pleine mission létale chez les Klingons). Le sauvetage in extremis de Spock dans les premières minutes ne fait qu’amorcer un enjeu émotionnel qui est le véritable sujet de ce "Star Trek", bien au-delà des explosions et des complots domestiques. Les acteurs font le reste : on s’attache toujours autant à la bande Kirk – Spock – McCoy – Scotty – Uhura (dans l’ordre : Pine, Quinto, Urban, Pegg, Saldana), et Benedict Cumberbatch s’impose dans la peau du méchant charismatique.
Prolongeant la volonté d’Abrams, le scénario d’Alex Kurtzman, Roberto Orci et Damon Lindelof lâche la bride à l’audace (certains diront à l’impudence, et s’en fâcheront) pour se construire sur des protagonistes tirés d’un autre film de la saga dont il raconte les origines, et dans le même temps proposer une relecture complète d’un épisode de la série originelle, racine narrative dudit film, afin de réinventer leur propre mythologie. Cette conjonction des histoires et des temporalités, que d’aucuns qualifieront de référence lourdingue, voire de plagiat, s’autorise à aller jusqu’à une conclusion en miroir qui, non contente de jouer avec ses modèles, transforme profondément le sens des premiers longs-métrages de la série sans jamais briser leur cohérence. Abrams réécrit la mythologie de "Star Trek" en s’appuyant sur l’idée borgésienne qui veut qu’il n’y ait pas des histoires, mais une histoire, concentration de toutes celles qui lui sont antérieures ou postérieures. Le réalisateur est ambitieux, mais il semble bien avoir réussi son Entreprise.
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