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Un jour, on sonne à la porte de Solange pour lui donner un colis qui lui serait adressé. Croyant à un malentendu, Solange s’écroule sous l’effet du stress. Parce que Solange ne sort jamais de chez elle. Elle s’isole du monde extérieur. Ce qui ne l’empêche pas de « penser » ce dernier à longueur de journée…
Dans une vidéo de la bien-nommée « Solange » (en réalité Ina Mihalache, devenue le phénomène n°1 des hipsters agoraphobes), cette dernière passe environ cinq minutes à démonter l’usage abusif du mot « bobo », qui, selon ses dires, serait une « patate chaude », un terme qui servirait à englober tout et n’importe quoi, un mot qui ne veut rien dire mais qui représente quelque chose de nuisible. On croît rêver. Précisons déjà que c’est bien la seule vidéo un tant soit peu intéressante que cette blogueuse ait pu pondre, surtout quand on voit le saisissant amas d’inanité réflexive qui sera sorti de son cerveau « fécond ». Il faut dire que la voir se lancer dans un long soliloque sur l’épilation ou analyser un film porno comme si elle avait découvert une nouvelle espèce avait déjà quelque chose de pathétique. Mais surtout, non, non et non : contrairement aux idées reçues, le mot « bobo » a du sens et n’est pas du genre à être employé à l’emporte-pièce. On peut même dire qu’il est taillé sur mesure pour Solange, nouvelle représentante d’une génération hyper narcissique qui parle beaucoup pour compenser sinon le fait de n’avoir rien à dire, en tout cas un vide existentiel qu’elle n’arrive pas à combler.
Pour faire simple, la Solange en question est ici du genre à rester chez elle à ne rien faire, à se rouler sur le lino en s’interrogeant sur tout et n’importe quoi (en vrac : son corps, ses vêtements, son concierge, ses malaises vagaux, l’art du cunnilingus, les odeurs dans sa cage d’escalier, etc.). En somme, une médaillée d’or aux Jeux Olympiques de la paresse, si confrontée à un blocage entre elle et le monde extérieur qu’elle en est réduite à flipper devant tout signe extérieur (en général, elle s’évanouit quand elle sort et elle panique quand on sonne chez elle) ou à utiliser son propre quotidien (c’est-à-dire rien) comme sujet d’analyse – une analyse par ailleurs débitée avec l’énergie verbale d’une neurasthénique sous Tranxène. De ce principe ne peut hélas découler qu’une chose, à savoir moins une étude décalée sur la solitude contemporaine qu’un autoportrait dénué de substance, à fond dans une ironie fatiguée qui ne procure jamais la moindre stimulation. Pour les expérimentations intimes façon Chantal Akerman ou le décalage subtilement philosophique à la Jean-Luc Godard, désolé, mais vous vous êtes trompés d’étage.
Précisons d’ailleurs que ce n’est pas en torchant vite fait mal fait une scène mentale dans son Québec enneigé ou en utilisant une poignée de textes-cartons que Solange va forcément réussir à incarner le désordre mental de son (alter-)ego par une quelconque fragmentation du médium. Parce que Solange, en plus de soutenir mordicus sa propre mise à l’écart du monde (chacune de ses rencontres avec un interlocuteur se solde par ce constat), en arrive à révéler sa monstrueuse hypocrisie lors d’une lecture assistée de l’actualité dans les journaux : la voilà qui se désigne comme protégée du monde extérieur sous prétexte que la complexité des mots employés dans les journaux déformerait l’actualité au lieu de la rendre vraie. Et ainsi donc, son regard à elle, tirant son « génie » autant dans son agoraphobie que dans son refus de toute forme d’artifice (donc, de « cinéma » ?), serait le seul regard valable, amorçant donc la naissance de sa chaîne YouTube en fin de film. On savait que l’égocentrisme de la jeune génération Web avait encore du grain à moudre dans une époque marquée par la culture du buzz et le culte de soi-même, mais là, on a juste envie de se pendre devant pareille imposture.
Que retenir de ce prototype d’anti-cinéma ? Que derrière chaque dépressif se cacherait un potentiel génie créatif ? Que l’écran d’ordinateur serait le meilleur moyen pour passer du statut de « marginal » à celui de « normal » ? Que la « créativité » peut se traduire par le fait de soliloquer sur ce que l’on ne connait pas en utilisant l’autodérision comme paratonnerre ? Devant pareil néant artistique, la triple réponse s’impose d’elle-même, négative et majuscule. Et histoire de répondre à la vidéo que l’on évoquait plus haut, on va tenter une définition assez précise du « boboïsme » : un état d’esprit qui consiste à polir son ego tout en dissertant vainement sur sa non-vie, et ce à travers le plus vaseux des dispositifs arty. On aimerait dire à Solange que, derrière cette chaîne YouTube qui lui sert visiblement de miroir névrotique, il existe un monde extrêmement vaste, avec de vraies personnes. Conseillons-lui de sortir de temps en temps pour en rencontrer quelques-unes et de freiner autant que possible la triple dose quotidienne de Lexomil, ça vaudra mieux.
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