© Version originale / Condor
Alors quâelle joue dans la cour de son Ă©cole avec ses quatre insĂ©parables amies, la petite Emili est attirĂ©e dans le gymnase par un inconnu, puis sauvagement assassinĂ©e. Comme frappĂ©es dâune subite amnĂ©sie, les quatre fillettes restent muettes face aux autoritĂ©s. Mais Asako, la mĂšre de la victime, dĂ©vastĂ©e et dĂ©cidĂ©e Ă ne pas en rester lĂ , leur impose un pacte : si elles ne se souviennent pas, elles devront faire pĂ©nitence toute leur vie...
Cinq ans aprĂšs le trĂšs beau « Tokyo Sonata », qui lui valut une reconnaissance internationale Ă©largie, Kiyoshi Kurosawa renoue avec lâun des genres qui fit jadis son succĂšs (« Cure », « Seance », « Retribution »), Ă savoir le thriller policier. Donnant gĂ©nĂ©ralement dans lâhorrifique ou le fantastique, il sâattelle cette fois-ci Ă un sujet plus classique, au travers dâune (presque) banale affaire de meurtre dans laquelle il nâest question ni de fantĂŽmes, ni dâhallucinations. Pourtant, le thĂšme du hantement (que lâon retrouve dans quasiment tous les films du rĂ©alisateur) tient avec « Shokuzai » une place importante, irriguant chacun de ses sous-rĂ©cits et permettant lâarticulation gĂ©nĂ©rale du mĂ©trage.
ComposĂ© dâun prologue, qui vise Ă exposer le drame initial et le pacte liant les diffĂ©rents personnages, de quatre Ă©pisodes centrĂ©s sur chacune des fillettes devenues adultes, puis dâun Ă©pilogue permettant de dĂ©nouer lâintrigue, « Shokuzai » est une saga vengeresse tenant davantage du film fleuve (Ă la maniĂšre du « Gangs of Wasseypur ») que de la sĂ©rie formatĂ©e pour le cinĂ©ma. DivisĂ© en deux parties, intitulĂ©es respectivement « Celles qui voulaient se souvenir » et « Celles qui voulaient oublier » (en rĂ©fĂ©rence Ă lâĂ©tat dâesprit des protagonistes dont il est question), le film bĂ©nĂ©ficie dâune sortie française qui Ă©tait loin dâĂȘtre gagnĂ©e, Ă©tant donnĂ© son format.
DĂšs les premiĂšres minutes, peu de doutes sont permis quant Ă la survenue dâun drame aussi effroyable que retentissant sur lâensemble du film. Dans une atmosphĂšre Ă la fois Ă©trange et morbide, lâintrigue prend le temps de sâinstaller avec efficacitĂ©, jusquâĂ cette scĂšne sidĂ©rante du pacte imposĂ© par Asako aux quatre fillettes. Au-delĂ de la cruautĂ© de la situation (les fillettes deviennent pour ainsi dire des « victimes » de la mĂšre Ă©plorĂ©e), qui donne le ton gĂ©nĂ©ral de ce qui sâensuivra, cette scĂšne concentre le sujet principal du film, qui est que derriĂšre chaque monstre se cache un homme ou une femme qui souffre. Aussi, malgrĂ© la profonde injustice qui se noue dans cette scĂšne cruciale, câest une vĂ©ritable radiographie de la culpabilitĂ© humaine qui se dessine.
Les deux Ă©pisodes qui sâensuivent constituent sans conteste les meilleurs morceaux de toute la saga. Montrant ce que sont devenues « celles qui voulaient se souvenir », ils dĂ©crivent dâune part les tourments dâune jeune fille au foyer, victime des penchants douteux dâun mari dĂ©traquĂ©, tourments qui se transformeront en vĂ©ritable boucherie psychologique et physique, et dâautre part les malheurs dâune jeune professeur un peu rustre, jugĂ©e trop sĂ©vĂšre Ă lâĂ©gard de ses Ă©lĂšves, et que sa tĂ©mĂ©ritĂ© portera aux antipodes de la popularitĂ©. Ces deux Ă©pisodes pourraient ĂȘtre des sketches indĂ©pendants de toute logique scĂ©naristique globale. Or la grande force du film est justement de laisser entrevoir des personnalitĂ©s fragiles et contrariĂ©es par le passĂ©, faisant planer en permanence lâombre du pacte et du meurtre de la fille dâAsako.
Aboutis sur la forme, rondement menĂ©s sur le fond, ces deux premiers Ă©pisodes ont comme un goĂ»t de reviens-y. Ils sont aussi lâoccasion de retrouver lâimmense Kyoko Koizumi, la mĂšre de famille de « Tokyo Sonata », dans un rĂŽle Ă la mesure de son charisme. Un film qui plaira aux fans de la premiĂšre heure, et Ă toute personne amatrice de belles choses malades.
Lire la critique de la 2e partie : "Celles qui voulaient oublier"
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