© Universal Pictures International France
Malgré son physique de gringalet et sa tendance à flirter du côté des geeks de son groupe de musique rock, Scott Pilgrim n’éprouve aucun problème avec les nanas. En fait, le vrai problème, ce serait plutôt de s’en débarrasser ! Alors qu’il se dépatouille d’une relation artificielle avec Chau, dont le jeune âge lui vaut les quolibets de ses potes, Scott rencontre la femme qui va changer sa vie : une délicieuse créature aux cheveux rose du nom de Ramona Flowers…
Attention, œuvre improbable ! En tant qu’objet cinématographique non identifié, « Scott Pilgrim » se pose là. Et assume pleinement sa marginalité, au risque d’exclure les spectateurs les plus réfractaires à ce trip que d’aucuns considéreront comme un produit générationnel pour adolescents frustrés. Ce n’est d’ailleurs pas totalement faux : « Scott Pilgrim » est bien un film générationnel, qui met en relief les tendances dominantes chez une partie sensible et grossissante de la population – ceux qu’on appelle, avec une pointe de mépris, les « geeks » – par le biais d’une effervescence visuelle et sonore à laquelle rien, vraiment rien, ne prépare. Néanmoins, le film ne peut pas se résumer à sa simple nature de « produit », dans la mesure où il embrasse, dans son humble ambition, une multitude de médiums et de références culturelles : bande-dessinée, musique, cinéma, jeu vidéo, le tout mêlé aux problématiques habituelles des jeunes gens de notre temps – autrement dit, les conflits amoureux sur fond de déchaînement médiatique. Le résultat est tellement riche et le patchwork esthétique si étendu qu’il en devient difficile de critiquer ce film sans avoir recours à des paradigmes propres aux domaines de la BD et du jeu vidéo, tant Edgar Wright réussit ici une parfaite symbiose des sphères culturelles modernes.
Véritable objet de culte outre-Atlantique, la bande-dessinée de Brian Lee O’Malley ne fournit à Edgar Wright et son scénariste Michael Bacall, qu’une partie seulement de sa riche matière, sur six volumes existants. Les deux hommes ont sélectionné un épisode des péripéties de Scott Pilgrim où celui-ci, tombant amoureux de Ramona Flowers, doit affronter la ligue des sept ex-petits amis maléfiques de la jeune femme, avant d’espérer pouvoir convoler en justes noces avec elle. En parallèle, il doit se débarrasser de l’encombrante Knives Chau, sa précédente petite amie, qui n’a pas l’air décidé à se laisser dépouiller du garçon qu’elle aime. Ce principe, aussi improbable que jouissif, prend toute son ampleur de par le traitement que lui impose Wright : en s’affranchissant des contraintes posées par la sobriété cinématographique et la transparence du montage, le réalisateur culte de « Shaun of the Dead » transforme la toile blanche de l’écran en un manifeste de la culture geek. C’est un festival de formes, de couleurs et d’inserts improbables qui attend le spectateur : affichage des scores obtenus après chaque combat de Pilgrim contre l’un des maléfiques ex-petits amis, changements constants des tonalités visuelles, personnages qui se mettent brusquement à danser au milieu d’une situation dramatique, enchevêtrement des espaces et des temps, insertion des onomatopées visuelles propres aux jeux vidéo et aux comics… Tous les coups – visuels et sonores – sont permis pour enthousiasmer le public.
Les amoureux du nonsense sont appelés à la barre. Comment légitimer cet univers bigarré où les belles dulcinées ont les cheveux de toutes les couleurs (grandiose Mary Elizabeth Winstead) et où les ondes sonores servent d’armes de destruction massive pour affronter des jumeaux diaboliques ? Comment expliquer que l’adolescent archétypal, frêle, insouciant et quelque peu nigaud (excellent Michael Cera) se métamorphose en super-héros dès lors qu’il s’agit de mettre une fessée à une bande de joyeux drilles amateurs de kung-fu ou de danse indienne ? Que faire de cette insupportable sœur (interprétée par Anna Kendrick, l’employée modèle confrontée à Clooney dans « In the Air ») qui semble être au courant des péripéties de son frangin dans la seconde où il les raconte à son colocataire et ami ? Humour et goût de l’improbable font le lien entre ces personnages et ces situations rocambolesques, avec une légèreté qui renvoie à ces autres phénomènes générationnels que sont Kevin Smith ou Jason Reitman. Légèreté qui ne va pas sans s’accompagner d’un regard pertinent, qui capte l’essence d’une génération, tout en soulignant l’emprise médiatique et culturelle qui la caractérise : ainsi Edgar Wright exagère-t-il volontiers les traits de ses personnages quant à leur besoin frénétique de vélocité, par exemple en se moquant de son héros qui, après avoir passé une commande sur un site en ligne, s’installe devant sa porte en croyant la réception instantanée.
Reste à comprendre pourquoi Universal n’a cessé de repousser la sortie d’un film, certes singulier, que les fans attendent avec une impatience fébrile, quand tous les sites de vente en ligne américains proposent le DVD depuis plusieurs semaines… Du fait de ce cruel sacrifice marketing, « Scott Pilgrim » risque de ne pas trouver la place qu’il mérite en dehors du cercle restreint de ceux qui piaffent d’impatience. A croire que le succès rencontré par « The Social Network » n’a pas encore soigné la population de sa crainte du gentil petit geek !
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