© Rue 21 Productions
À l’occasion d’une séance unique sur grand écran dans le monde entier le 29 septembre 2015, Roger Waters présente une expérience cinématographique inédite, juxtaposant la dernière représentation du concert « The Wall » avec des images fictives reliant son existence aux thématiques de cette oeuvre musicale unique en son genre…
Il serait plus ou moins inutile de revenir sur l’historique de l’album-concept The Wall, considéré pour beaucoup comme l’apogée artistique du groupe de rock progressiste Pink Floyd. Mais comme cette œuvre s’est révélée au fil des années totalement indissociable du bassiste Roger Waters – leader du groupe jusqu’en 1985 – au point même d’avoir entraîné la dissolution progressive du groupe juste après sa sortie, on ne peut pas y couper. Rappel des faits : de plus en plus agacé par l’attitude des spectateurs durant les concerts et surtout marqué par une enfance plutôt sombre, Waters aura conçu The Wall comme une œuvre multi-supports, déclinée sous forme d’un double album, d’une série de concerts et d’un long-métrage pour le cinéma (réalisé par Alan Parker en 1982). Avec une idée maîtresse en ce qui concerne le concert : bâtir littéralement un mur de briques entre le groupe et les spectateurs, sur lequel de multiples effets spéciaux seront projetés, assurant ainsi un show d’anthologie.
Cela dit, au-delà de son statut de spectacle dantesque qui laisse son audience sur les rotules tout en lui faisant vivre mille émotions, The Wall touche à quelque chose de profond et d’universel. En effet, les 38 morceaux qui composent l’album constituent en réalité la trame d’une véritable histoire : il y est question d’un antihéros nommé Pink qui, marqué par la mort de son père et la tyrannie d’une société qui tend à le compartimenter, se réfugie dans ses rêves et ses cauchemars en bâtissant une sorte de mur imaginaire entre lui et le monde extérieur, jusqu’à sombrer dans la folie et la dépression. Une composante thématique qui fait tout le sel de cette œuvre exceptionnelle, conçue avant tout comme un appel opératique à briser son propre « mur », afin d’éveiller sa conscience d’animal social révolté et de s’ouvrir au monde. Tant de gens – dont l’auteur de ses lignes – ont été marqués à vie par cet album, au point de le citer comme étape majeure dans leur parcours intime. En guise de prologue, on verra ici l’acteur Liam Neeson évoquer sa découverte passée de l’album et du concert, nous promettant du même coup un spectacle inoubliable. Le plus fort, c’est que ça va bien au-delà…
Des concerts qui se retrouvent projetés au cinéma, que ce soit pour une pure captation (un concert à regarder, point barre) ou pour être découpé sous forme d’intermèdes au sein d’une œuvre de fiction, on en a déjà vu un certain nombre. Puisqu’on est dans le domaine du rock, on peut citer l’énergique "Shine a light" – concert filmé des Rolling Stones par leur ami Martin Scorsese – ou encore le récent "Through the never" qui intégrait l’Apocalypse au beau milieu d’un concert du groupe Metallica. Mais un spectacle du niveau de "Roger Waters The Wall", on n’avait tout simplement pas vu ça depuis les méga-concerts de Jean-Michel Jarre dans les années 80-90. L’idée du mur construit au fur et à mesure de l’écoulement des chansons de l’album atteint un degré de sidération que peu de concerts ont su évoquer, de même que la mise en scène dynamique du concert se cale à merveille sur les effets sensoriels d’un découpage cinématographique, créant peu à peu un sentiment d’immersion qui fait bouillir toutes nos tripes. Sous la houlette d’un Roger Waters en transe totale tout au long du spectacle, les animations et les surprises scéniques s’enchaînent donc sans discontinuer, faisant de ce mur gigantesque un film à part entière. Plein les yeux, plein les oreilles.
Avoir l’impression de plonger dans les plus violents conflits du XXe siècle en entendant In the flesh, renouer avec son adolescence rebelle en hurlant les paroles d’Another brick in the wall, se souvenir de l’éducation parfois rigoureuse donnée par sa propre mère à travers les paroles de Mother, pleurer toutes les larmes de son corps devant les paroles mélancoliques du refrain de Confortably Numb : les fans de l’album atteindront le 7e Ciel sans même avoir besoin de faire partie du public visible dans le film. Mais ce film-expérience leur offrira un gros supplément : tout au long du concert, on suivra Roger Waters en plein voyage européen (notamment dans le sud de la France et de l’Italie), revivant les moments-phares de son existence – surtout les plus tristes – au gré de l’avancée du concert. Une astuce de narration, assez proche de celle exploitée par Nick Cave sur "20 000 jours sur Terre" (des personnalités apparaissent parfois sur le siège passager pendant que Roger Waters conduit sa voiture), qui relie pour de bon ce disque culte à la personnalité tourmentée et anticonformiste de son leader – une chose que le film d’Alan Parker ne réussissait jamais.
On a beau savoir qu’un concert est fait pour être vécu de l’intérieur, avec tout ce que cela implique de pulsations, de frémissements corporels et d’électricité interne, l’expérience proposée par "Roger Waters The Wall" surclasse la simple captation de concert. Est-ce seulement parce que The Wall se raconte comme un film plus qu’il ne s’écoute comme un disque ? Sans doute. Là où Alan Parker se contentait d’illustrer le contenu du disque par des images fictives, ce film prouve bien que la substantifique moelle du disque se manifeste uniquement par des flashs mentaux – ceux projetés sur le mur – et des images précises – créées avant tout par la mélodie et les paroles. Ce mur est un écran de cinéma qui reflète nos propres états d’âme, sublimés par la musique de Waters et si hypnotiques qu’on ne rêve que de s’y replonger. Rien d’étonnant à ce que, tout comme le disque, le concert s’ouvre sur la deuxième moitié d’une phrase et s’achève sur sa première moitié, créant ainsi une boucle absolue. Le mur n’est pas totalement détruit. Il se reconstruira un jour. Le tout sera de trouver la force de le briser à nouveau. The Wall ne nous quittera jamais.
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