© Mars Films
Sa mère voulait qu’il devienne prêtre, il sera finalement devenu la légende vivante du porno. Aujourd’hui, Rocco Siffredi a derrière lui trente ans de métier et, désireux de raccrocher les gants, s’apprête à tourner la dernière scène de sa carrière. Accompagné de ses proches et de partenaires professionnels, l’homme dévoile son âme autant qu’il lève le voile sur les coulisses du cinéma X…
Premier plan hallucinant : une bite, au repos, sous la douche, avec du savon qui s’écoule dessus et la voix off d’un Rocco Siffredi qui entame alors sa longue confession, le tout shooté dans un Scope élégant sur fond de musique électro. Démarrer ce docu(l) sur un plan pareil n’est pas un effet gratuit, mais une pure logique : non seulement ce surprenant détail anatomique aura fait à lui tout seul la renommée de l’artiste en question, mais le caractère explicite (et pas porno : nuance !) de ce plan fait figure d’avertissement sur ce qui va constituer "Rocco". Si vous espérer un documentaire blindé de scènes porno racoleuses, vous pouvez d’ores et déjà passer votre chemin. S’il est évidemment destiné à un public averti, le film se veut surtout analytique, psychologique et – contre toute attente – ambigu sur son concept de « mise à nu ». Tirer le portrait d’une légende vivante n’est jamais une chose facile, mais Thierry Demaizière et Alban Teurlai (déjà auteurs du documentaire "Relève : histoire d’une création", sorti cette année) ont pourtant contourné tous les soucis que l’on avait pris soin d’anticiper.
Déjà, commençons par souligner que "Rocco" n’a pas fondamentalement pour vocation à disséquer de l’intérieur les coulisses du l’industrie du cinéma hard : là-dessus, on peut clairement dire que HPG avait déjà tout révélé avec assiduité dans le fabuleux documentaire "Il n’y a pas de rapport sexuel". Le sujet, c’est Rocco Siffredi lui-même, faux « serial-niqueur » mais vraie machine humaine, devenu mine de rien la marionnette de son propre théâtre. Un homme au parcours étonnant (le voir raconter son enfance et pleurer en repensant à sa mère en fait quelqu’un de profondément attachant) et à la carrière vertigineuse (plus de 1500 films, plus de 5000 partenaires, et j’en passe…), qui accepte ici un documentaire sur sa personne au moment précis où il s’apprête à tirer sa révérence comme acteur. Désormais, seules comptent pour lui la mise en scène et la vie de famille. Tout est donc décortiqué avec soin, autant par la voix off d’un Rocco extrêmement introspectif dans ses déclarations que par la caméra très mobile (et jamais impudique) de deux réalisateurs fascinés par une personnalité aussi contradictoire. Car leur sujet d’étude est ainsi : un vivier de contradictions qui, une fois combinées, forment un puzzle totalement cohérent, sans pièce manquante.
Au-delà du décalage suscité par une vie de famille exemplaire et un statut de performeur attaché à repousser sans cesse le stade de la transgression sur ses tournages, c’est clairement le rapport entre une obsession sexuelle dévorante au quotidien et une culpabilité judéo-chrétienne perpétuellement tangible (dans son dernier film, il veut être filmé en Jésus qui porte sa croix !) qui constitue ici le point le plus intéressant. Pour autant, la dichotomie des informations qui surgissent de ce documentaire est utilisée comme une balise, qui vise à aiguiller sur un sujet précis sans pour autant poser le moindre jugement dessus. Rien qu’en voyant les coulisses d’un tournage de film X, on est littéralement estomaqué : de jeunes actrices fascinées par le « sexe violent » sont à la fois excitées et angoissées à l’idée de tourner avec Rocco, et, une fois mises devant le fait accompli, semblent tout d’un coup subir la pire des désillusions lorsqu’elles se retrouvent soumises aux fantasmes de l’acteur. À moins qu’il y ait là aussi une sorte de « jeu » d’où peut s’extraire le plaisir, à l’image des revendications d’une actrice porno féministe chez qui la théorie du « je fais ce que je veux de mon corps, et j’ai le pouvoir quand je laisse l’autre me dominer » redevient une sacrée moulinette à débat.
C’est là que le film touche du doigt quelque chose d’ambigu relatif autant aux acteurs de cette industrie qu’à ceux qui s’y engouffrent. Où commence le plaisir ? Où s’arrête la douleur ? Où réside l’addiction ? Le parcours de Rocco, n’esquivant rien – vrai signe de lucidité – sur une carrière plus complexe qu’elle n’en a l’air, aiguille cette logique narrative. Et surtout, les deux réalisateurs ont eu LA grande idée pour nous mettre à genoux : utiliser un montage de cinéma qui finit par avoir davantage à voir avec la fiction qu’avec le documentaire. Cadré en Scope, photographié et mis en musique comme du Nicolas Winding Refn (certains plans sur les routes et les plages de Californie rappellent un peu "Drive"), élaborant sa narration à la manière d’un scénario séquencé, filmant des personnages à la personnalité parfois édifiante (mention spéciale à Gabriele, cousin de Rocco et réalisateur aux idées parfois franchement farfelues !), et cadrant des conversations où les phrases ne semblent pas toujours très spontanées, "Rocco" suscite un doute permanent sur la réalité de ce que l’on voit. A-t-on affaire à un vrai portrait intime ou à un docufiction bidonné ? Rocco souhaitait-il finir sa carrière sur un objet énigmatique, quitte à laisser le spectateur libre de le juger ? Si c’est le cas, la réussite est totale, tant le film réussit à n’esquiver aucun détail sur sa personnalité et son travail, le tout sans racolage ni obscénité. Le résultat est à son image : long, dur et profond.
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