© Capricci Films
Une femme met un DVD, dont le titre est « Road to nowhere ». L'on rentre dans l'histoire, avec une autre maison, une voiture, un coup de feu... Le film se termine avec un générique plein écrit... signé Un film de Mitchell Haven. La femme s'en va en voiture, pleurer sous un tunnel. On embreille alors sur une autre histoire: des scénaristes qui discutent, un casting, des répétitions... visant à préparer un film sur Velma Duran...
Devenu culte avec seulement trois films réalisés entre 1965 et 1971 – « L’Ouragan de la vengeance », « The Shooting » et « Macadam à deux voies » – puis porté disparu après « Better Watch Out ! » en 1989, Monte Hellman était attendu au tournant par ses détracteurs autant que par ses fans. Avec « Road to Nowhere », présenté au dernier festival de Venise, Hellman a choisi de prendre une direction pour le moins surprenante, flirtant ostensiblement avec le David Lynch de « Mulholland Drive » et le métafilm réflexif façon Godard sur « Le Mépris », références assumées d’une histoire située entre les deux rives de la réalité et de la fiction, portée par un fleuve de mystère et d’indistinction. Le tout filmé avec un soin technologique tout particulier, via un appareil photo HD qui donne une image lisse et d’une perfection rarement atteinte.
Occupé à constater le délitement de la narration classique au moment de la décadence des studios hollywoodiens (ses westerns sont des « anti-westerns ») à l’aune de la contre-culture américaine, le cinéaste s’est appliqué cette fois à relater les atermoiements de la création cinématographique, dans ce qu’elle a de plus schizophrénique. Celle-ci s’incarne dans un récit largement autobiographique, pas au sens où Hellman y décrirait une succession d’événements réels, mais dans la mesure où il reproduit et remodèle des situations et des relations empiriques, vécues à peu près, ou à peu près vécues. Ainsi le metteur en scène du récit, Mitchell Haven, est-il une version romancée de Monte Hellman, dont il a pris les initiales et le surnom de jeunesse (Haven est le nom que se donnait le cinéaste lorsqu’il montait des pièces de théâtre à Los Angeles) ; et son ami le scénariste, un avatar de Steven Gaydos. La façon dont les producteurs découvrent Laurel Graham, à qui ils souhaitent confier le rôle de Velma Duran, fait écho à la rencontre entre Gaydos et Shannyn Sossamon, au hasard d’un restaurant : vivant en Europe l’essentiel de son temps, le scénariste ne connaissait pas la comédienne et ne la savait même pas dans le métier.
Il y a, dans « Road to Nowhere », autant de lectures possibles d’un même récit qu’il y a de personnages différents. A la manière d’un « Rashomon », la structure symétrique en moins, chacun apporte sa propre interprétation de l’entremêlement des réalités : quel est le plus vrai du film que l’on tourne ou du fait divers que celui-ci adapte ? Le doute principal tourne autour de l’actrice Laurel Graham, soupçonnée d’être réellement le personnage qu’elle interprète – une femme fatale qui s’est fait passer pour morte après une sombre affaire de suicide et d’argent. Elle-même semble s’interroger sur sa propre réalité. Fasciné par elle, Haven laisse progressivement filer ses responsabilités sur le tournage à mesure que sa relation avec la jeune comédienne se fait plus intense ; il ne cesse de remodeler scénario et storyboard pour avantager sa douce. Son ami et scénariste observe, impuissant, le changement d’angle narratif, tandis qu’un enquêteur, travesti en consultant sur le plateau, tente de confondre Laurel.
En faisant de son personnage un cinéphile, Hellman s’amuse, toujours plus explicitement, à gommer les repères du spectateur. Après une dure journée de labeur, Mitchell et Laurel se projettent un bon vieux classique dans leur chambre d’hôtel. Les extraits qu’Hellman insère au cœur de son propre film – Ana Torrent dans « L’Esprit de la Ruche » de Victor Erice, Max Von Sydow jouant aux échecs avec la Mort dans « Le Septième Sceau » d’Ingmar Bergman – reflètent tous, d’une façon ou d’une autre, l’indistinction entre réalité et fiction qui fait le lit du récit principal. Dans un film qui reste sans réponse, et dont les trajectoires se coupent brutalement (dénouement tragique, surgissement dans la chambre d’hôtel de Haven de l’équipe de tournage qui n’était pas censée s’y trouver), c’est donc dans la cinéphilie qu’il faut aller quêter un début de solution. Nous le trouvons, en partie, dans cet extrait d’ « Un cœur pris au piège » de Preston Sturges, dans lequel Henry Fonda, après lui avoir longuement couru après, finit par rattraper Barbara Stanwyck, sans prendre conscience qu’il s’agit de la même femme rencontrée dans la première partie du film. Un seul protagoniste s’en rend compte : celui du majordome, incarné par William Demarest, qui répète une dernière fois : « C’est bien la même fille ! » avant de laisser place au générique final. Il n’est pas interdit de voir là une interprétation implicite de la problématique qui sous-tend le complexe « Road to Nowhere ».
CONTRE: Niveau -1 - Le film dans le film... peut-être encore dans le film...
Doyen de la compétition aura dernier Festival de Venise 2010, Monte Hellman, qui présentait "Road to nowhere", n'est pas reparti avec un prix pour le film... mais pour l'ensemble de sa carrière. Il faut dire que ce film sur... un tournage de film, qui pourrait bien ne pas être celui que l'on croit, n'est pas des plus lisibles, se noyant dans sa propre construction, la faute à un scénario qui se regarde le nombril, sans se préoccuper à aucun moment du spectateur. Sous prétexte de lecture à plusieurs niveaux, il faut bien avouer que la clarté n'est pas au rendez-vous et que plus le film avance, moins on comprend quelque chose à cette histoire d'actrice de série Z qui joue un rôle qui pourrait bien avoir un lien avec sa propre vie.
Le film s'ouvre sur la lecture d'un DVD qui s'intitule "Road to nowhere", et l'on a même droit à son générique, signé Mitchell Haven. On croit suivre ensuite le casting et le début du tournage, mais c'est sans compter sur les personnages secondaires, bien peu consistants, qui gravitent autour du tournage: un enquêteur chargé d'agrémenter le scénario de détails liés à la vraie histoire dont s'inspire le film, une responsable de blog chargée de créer du buzz autour du film, un scénariste râleur, un acteur mécontent de ses lignes et qui aimerait bien que le personnage féminin le séduise ou prenne un peu moins de place... Rapidement le spectateur perd ses marques entre réalité et fiction. En cela "Road to nowhere" est peut-être une réussite. Sinon, l'histoire est loin d'être passionnante, et coté émotions c'est l'encéphalogramme plat. Et ce n'est pas le revirement de dernière minute, qui arrive comme un cheveux sur la soupe, qui arrangera les choses.
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