© Rezo Films
Trois amis, chefs d’entreprise, s’offrent un week-end de détente et de chasse dans une zone désertique, où ils louent une élégante villa. Hélas, la présence de la jeune et aguicheuse maîtresse de l’un d’eux provoque vite un terrifiant dérapage. Un dérapage que la belle, violentée mais toujours vivante, ne leur pardonnera jamais…
S’il y a bien un genre auquel le cinéma d’horreur doit ses instants les plus extrêmes, c’est bien le rape and revenge dont il ne semble même pas nécessaire de traduire le nom. A savoir une poignée de films « bisseux » et hardcore qui déroulent la vengeance extrême et impitoyable d’une jeune femme (et éventuellement de ses proches), tout juste après qu’une bande de brutes – en général très portés sur la fesse et l’alcool – l’aient soumise à une séance de zizi panpan pas du tout consentie. Le plus surprenant, c’est que l’on doit la naissance de ce genre très clairement interdit aux moins de 16 ans à nul autre qu’Ingmar Bergman, au travers de son mémorable "La Source", film qui inspira dans ses grandes lignes le film matriciel du genre, à savoir "La Dernière maison sur la gauche" de Wes Craven (aujourd’hui dépassé par son excellent remake sorti en 2009). Et si l’on se plaît à entretenir un certain amour envers ce genre extrême, c’est parce qu’il arbore avec brio le caractère d’un vrai film de genre, en jouant avant tout sur les bascules narratives et les geysers de violence perturbante pour agresser, malmener et retourner son spectateur dans tous les sens possibles. On ne le dira jamais assez : la noblesse du genre se définit par sa capacité à transgresser les règles et les interdits.
A une époque où le body horror à la française semble avoir repris un peu du poil de la bête suite au succès critique et public de "Grave", le premier film de Coralie Fargeat tombe donc à point nommé pour en faire baver des ronds de chapeau à un cinéma hexagonal pas si porté que ça sur la barbaque et les giclures de liquide vermillon. On avouera que la réalisatrice n’a pas cherché midi à quatorze heures pour structurer son scénario, et qu’elle s’en est logiquement tenue à une trame linéaire et frontale, histoire de foncer droit à l’essentiel. Et dès les premiers plans, la virtuosité stylistique et sonore de Coralie Fargeat éclabousse la rétine avec violence. Aussi rutilante et aguicheuse qu’une Ferrari, stylisée à outrance à la manière d’un bonbon filmique pulp à la sauce "Spring Breakers", et élevée vers des hauteurs sensorielles himalayesques par un sound design démentiel, la première demi-heure de "Revenge" laisse bouche bée et augure du meilleur. Fargeat pousse même le bouchon très loin en jouant de façon puissamment ironique sur l’outrance macho du genre, n’hésitant pas à cadrer son héroïne ultra-sexy au ras du string et à titiller un malaise dérangeant sur la persistance de celle-ci à vouloir « chauffer » coûte que coûte les trois beaufs qui l’accompagnent. Le tout avec une forte attention portée au symbolisme des plans (la fourmi aspergée d’un sang aussi lourd qu’une météorite, le robot bruyant dans une piscine a priori calme, la pomme croquée comme un fruit défendu qui pourrit peu à peu, la guérison par brûlure qui dessine un tatouage de phénix sur la peau…) ainsi qu’à la mise en valeur des couleurs et des matières.
Reste le moment où la vengeance promise par le titre serait sensée nous faire basculer de la terreur à la jouissance. Et c’est hélas là que Fargeat, visiblement trop arrimée à un script excessivement basique qu’elle étire sans réelle justification sur pas moins d’1h50 (!), prouve ses lacunes en matière d’écriture. Déjà à cause d’une suite de péripéties à la lisière de l’invraisemblable, où la résistance physique de la jeune héroïne (épatante Matilda Lutz) et de ses trois poursuivants prête souvent plus à rire qu’à frémir, quand ce n’est pas carrément un trip sous peyotl qui fait vriller le scénario dans un délire WTF assez grotesque. De même que les mises à mort proposées – ici à compter sur les doigts d’une main – se révèlent des plus timorées en s’en tenant à des traques trop étirées qui prennent fin dans une fulgurance gore trop succincte. Là où l’un des plaisirs coupables du rape and revenge réside justement dans l’appréhension de la torture physique et sadique que la jeune violée va finir par mettre en application (fans d’"I Spit on your Grave", suivez mon regard…), Coralie Fargeat rate ici la mise en valeur du « climax », le gonflement d’une tension qui viendrait exploser dans un déferlement libérateur et purement viscéral. Tout juste peut-on s’amuser d’un final sous forme de cache-cache dans des couloirs maculés de sang (et oui, ça glisse !), où Fargeat use du plan-séquence pour transformer un loft de trois pièces en une sorte de labyrinthe carré. Rien de génial, mais ça fait l’affaire.
Alors, oui, pour ce qui est de faire couler le sang et de viser l’overdose de plans gore, "Revenge" déploie largement de quoi justifier les dix euros de la séance. Mais pour ce qui est d’élever l’impact viscéral d’un genre à défaut de prétendre le révolutionner, mieux vaut chercher ailleurs. Surtout quand on voit cette tournure critique assez aberrante, cherchant à tout prix – et sans doute à cause d’une actualité pour le moins bouillante – à lire cette série B carrée et vénère comme une charge féministe de première catégorie, là où la mise en scène de Fargeat utilise avant tout la loi du Talion et l’exécution sommaire comme des ressorts narratifs et non comme les bases d’un discours (encore heureux !). On serait donc très tenté à l’idée d’inviter certains exégètes néophytes à faire une petite séance d’apnée dans l’historique du rape and revenge, histoire d’en assimiler le racolage putassier et souvent assumé là où ils pensaient y dénicher un hypothétique réveil de conscience féministe (parfois plus accidentel qu’autre chose). Quoi qu’il en soit, la présence d’une femme derrière la caméra – aussi surdouée et prometteuse soit-elle – n’a pas suffi ici à rendre le genre plus habité et subversif qu’à l’accoutumée. "Revenge" s’en tient à une pure logique de série B, et lâche de solides cartouches sur ce terrain-là, ni plus ni moins. Pour le reste, mieux vaut revoir "L’ange de la vengeance" d’Abel Ferrara, seul vrai film féministe à avoir trouvé racine dans cette catégorie.
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