© Albany Films Distribution
Les réfractaires, ce sont ces Allemands qui ont fui le régime nazi et se sont terrés au fond de souterrains, de caves et de mines, afin d’échapper à un aller simple pour le front russe. François est de ceux-là. Issu d’une famille bourgeoise d’un petit pays annexé par les nazis, fils d’un membre du régime, il choisit de quitter l’université allemande pour une vie promise à l’obscurité et à la promiscuité durant de longs mois avec, pour seul espoir, une prochaine Libération…
C’est à un homme du cru, Nicolas Steil, que l’on doit de s’être penché sur le cas, peu connu, de ces jeunes Luxembourgeois qui, pendant l’Occupation nazie, refusèrent de s’enrôler pour aller mourir sur le front russe et préférèrent prendre le risque de s’enfermer dans les mines durant un temps indéfini. En s’attaquant à un sujet difficile et délicat, Steil prouve néanmoins que le cinéma francophone est capable de réactualiser ces petites anecdotes et histoires personnelles qui furent les tragédies silencieuses de nombre de victimes du nazisme. Il faut souligner cette audace, qui n’est certes pas une caractéristique de la production française – à quelques exceptions près, « La Rafle » en constituant un récent exemple, même perclus de maladresses. C’est donc à un parcours étonnant que nous convie Nicolas Steil, dans les souterrains de la conscience humaine, à une époque trouble, sur la base d’une riche documentation historique menée avec son co-scénariste Jean-Louis Schlesser, et de l’aide conjointe du Centre National de la Résistance au Luxembourg, de l’historien Paul Dostert, ainsi que de nombreux acteurs et témoins des événements.
« Réfractaire » est un premier long-métrage ambitieux mais maladroit, riche de détails mais trop éclaté, abondant en péripéties mais quelque peu chaotique dans sa narration. L’histoire relatée par Steil vit à travers ces contradictions et ces antithèses qui produisent alternativement bonnes séquences et situations ratées. Ses qualités, comme ses défauts, sont variés et diffus, illuminant toute une première partie dans la mine, obscurcissant une seconde partie plus attendue et moins sensée. Steil donne sans cesse l’impression de vouloir trop en dire, de désirer aller trop vite, ou trop lentement, de ne pas toujours maîtriser ses comédiens qui dérapent, de craindre l’ennui du spectateur et pour cela de privilégier l’éclatement narratif à la logique de la continuité. Lorsque la lumière se rallume, on éprouve ce regret caractéristique de ces films qui ne sont pas vraiment des réussites et pas réellement des échecs, en ce qu’ils sont pleins de promesses non tenues et de routes qui ne mènent nulle part.
Les passages dans la mine, qui constituent l’essentiel de la première moitié du film, sont les plus satisfaisants : François, incarné par notre hexagonal Grégoire Leprince-Ringuet, envoie promener une carrière prometteuse d’ingénieur sous le nazisme, poussé par un père idéologue, pour aller se terrer dans les sinistres circonvolutions d’une autre carrière, au sens littéral – une mine froide et humide, en compagnie d’un groupe hétéroclite et agressif. Le jeune homme rejette les principes du nazisme aussi bien que la perspective de devoir se battre sur le front russe comme ses camarades ; à travers sa décision, il se porte surtout en faux contre l’autorité d’un père abusif, que l’on aperçoit le temps de quelques trop rares séquences de flashback.
Le comédien, avec subtilité, construit un personnage d’une certaine froideur, obsédé par un ami prolétaire auquel il reproche de lui avoir piqué la femme qu’il aime depuis son adolescence, hanté par les images troubles du père, gêné par une mère pianiste devenue à moitié folle. Son aventure dans la mine ressemble à une descente aux enfers, ses sorties nocturnes à la ville – pour suivre son ami d’enfance – s’apparentent à des respirations bienvenues, malgré le danger nazi qui rôde à chaque coin de rue. François a tout l’air d’un garçon perdu, orphelin symbolique qui se terre dans la mine comme dans le ventre de sa mère, espérant une sorte de renaissance à la sortie. Promiscuité, rationnement, combat contre le froid, relations complexes avec ses camarades réfractaires : Steil scande les heures sous la mine à la façon d’un huis clos sartrien, où l’Enfer, c’est toujours les autres. Le petit bourgeois peine à s’intégrer auprès des ouvriers qui n’ont pas eu d’autre choix que la fuite. A côté de leurs vies misérables, le complexe oedipien de François ne pèse pas lourd.
Dans la seconde partie, le film perd quelque peu ses marques : absence d’unité de lieu, d’action et de temps, perte des repères acquis dans la mine, volonté suicidaire presque exacerbée de la part de François, qui sort régulièrement à la ville pour retrouver la femme solitaire d’un membre actif du parti nazi… Steil s’égare et échoue à conserver le fil de son histoire, qui aurait gagné à se situer uniquement sous terre. Car la claustrophobie fait rapidement place à une opposition sociale basique – entre François et ses collègues prolétaires, entre les membres du Parti qui espèrent grimper les échelons du pouvoir et ceux qui rejettent toute ingérence politique – qui s’illustre, pour le pire, dans le personnage de Jacques le marxiste, trop exagératif, trop extravagant, trop bruyant. L’idéologie prend le pouvoir et rejette dans les marges tout ce qui pouvait faire le sel historique et le drame humain de ce film. C’est un mauvais choix narratif auquel nombre de spectateurs pourront se montrer… réfractaires.
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