© Walt Disney Company France
Pour Merida, fille du roi Fergus et de la reine Elinor qui règnent sur quatre royaumes des Highlands d’Écosse, pas question de devenir princesse pour passer son temps au château à respecter les bonnes manières. La jeune femme, experte dans le maniement de l’arc, n’hésite pas à s’opposer à sa mère pour obtenir la liberté de choisir son avenir, jusqu’à accepter l’enchantement d’une mystérieuse sorcière…
Fougue et tempérament de feu sont les caractéristiques de la première héroïne pur jus des studios Pixar. Merida a le cheveu roux et touffu, une dégaine d’aventurière, l’arc agile et la flèche facile. Son univers se résume aux highlands de l’Écosse du Xe siècle – le décor d’époque est une nouveauté pour le studio à la lampe facétieuse –, d’une beauté telle qu’ils renvoient paradoxalement les paysages de « Braveheart » à l’état d’aimable brouillon. Le génie de la famille Lasseter frappe fort sur l’aspect visuel, à tel point qu’on reste émerveillé, longtemps après la projection, par la qualité de l’animation et le souci du détail qui émane des personnages comme des environnements. C’est simple, rien de plus beau n’est apparu sur un écran de cinéma depuis le sublime « Raiponce » de la maison-mère Disney, du moins dans le domaine du dessin animé par ordinateur. Et aucune autre héroïne n’a été aussi attachante que la princesse aux longs cheveux blonds du studio aux grandes oreilles.
Tous deux produits par le groupe Disney, « Raiponce » et « Rebelle » pourraient presque passer pour des pamphlets féministes tant leur héroïne respective est menée par une incompressible volonté d’émancipation. À Raiponce, enfermée depuis sa tendre enfance dans une tour anonyme et désireuse de découvrir le monde environnant, répond Merida, princesse avérée qu’une mère-poule voudrait transformer en parfaite petite épouse, débordante des exécrables bonnes manières de la haute société. Deux femmes qui se refusent à se satisfaire de l’horizon fermé qu’une famille un peu trop autoritaire essaie de leur imposer. La nouveauté, pour Disney comme pour Pixar, c’est de faire de la volonté de la femme la trajectoire même du scénario, le chemin zigzaguant sur lequel viennent se greffer péripéties à risques et personnages secondaires, où l’homme n’est plus que le reflet du désir féminin et féministe : Flynn le voleur un peu balourd, incarnation de tous les hommes, pour Raiponce ; le roi Fergus, hâbleur, affable et bagarreur, soit le modèle de père idéal pour Merida, à l’opposé de la psychorigide mère Elinor.
Si la femme est au centre du jeu, c’est la figure de la mère qui concentre l’essentiel des enjeux du rituel initiatique traversé par Merida. « Rebelle » raconte, grosso modo, comment une mère inflexible change – littéralement – de visage au regard de sa fille, qui peut in fine, sur de nouvelles bases, reconsidérer la relation mère-fille après avoir accompagné la métamorphose maternelle. Le père ne joue dans ce drame qu’un rôle secondaire, tout comme les hommes en général, à l’instar des trois prétendants présentés à Merida, fils des trois seigneurs locaux, tous plus grotesques les uns que les autres. Une scène, centrale, dit tout de la position respective des sexes dans cette fiction : tandis que Merida et sa mère tentent de rejoindre discrètement la chambre royale pour tenter de rompre le maléfice, les bonshommes, réunis dans la salle principale du château, qu’il faut traverser pour rejoindre ladite chambrée, passent leur temps à festoyer avec force poulardes et bouteilles de vin tandis que Fergus relate ses exploits pour la millième fois. Aux mâles les bouffonneries, aux damoiselles les choses sérieuses.
« Rebelle » doit beaucoup à sa créatrice, Brenda Chapman, arrivée chez Pixar en 2006 avec ce scénario sous le bras. Transfuge de chez Dreamworks, Chapman fut la première femme à réaliser un film d’animation à gros budget – « Le Prince d’Egypte » en 1998 –, ce qui n’empêcha pas la direction de Pixar de la remplacer, en 2010, par Mark Andrews, du fait de divergences artistiques. Malgré quelques changements apportés après-coup, il reste que le film porte sa double marque, celle du combat d’une femme contre le déterminisme masculin (incarné ici par les trois prétendants idiots), et celle de l’amour d’une enfant pour sa mère. « Rebelle » se gonfle même d’une saveur nouvelle quand on connaît cette histoire, puisque Merida, comme dans tout bon conte de fées, finit par vaincre l’autoritarisme ambiant et par gagner ses galons de femme indépendante.
Néanmoins, quelques défauts structurels interdisent à « Rebelle » d’atteindre au génie des récentes productions Pixar, « Ratatouille » et « Wall-E » en tête. Durant toute la première partie, on ne peut s’empêcher de penser à une étrange inversion : si, avec « Raiponce », Disney s’est positivement « pixarisé », il semble qu’avec ce nouvel opus, Pixar se soit négativement « disneyisé ». D’abord, le scénario manque pour moitié d’originalité et ses cheminements sont prévisibles. Ensuite, les personnages secondaires – traditionnellement très bien traités par les « pixaristes » – sont trop nombreux et insuffisamment travaillés. On se sent par exemple frustré de ne pas profiter plus longuement de la géniale sorcière de la forêt et de son insupportable corbeau (dont la voix française est celle de Michel Hazanavicius), ou de ne pas s’amuser un peu plus avec les trois sournois petits frères de Merida.
La bande musicale, habituellement l’un des points forts des films estampillés Pixar – ah ! les scores de Michael Giacchino ! – échoie cette fois à un compositeur d’origine écossaise : Patrick Doyle, orchestrateur attitré de Kenneth Branagh. Mais sa palette musicale manque de couleurs et de force, et on n’en retient pas vraiment les mélodies. Quant aux deux chansons interprétées par Julie Fowlis, dans le plus pur style Disney, le film aurait gagné en efficacité à les laisser dans la salle de montage. Exception faite de ces scories qui, espérons-le, ne sont qu’une erreur de parcours dans la belle carrière du studio, « Rebelle » reste un très bon divertissement, plein de vie et de bonne humeur, avec, en guise de cerise sur le gâteau, une scène finale qui culmine dans une explosion émotive. Si l’exigence réclame désormais l’excellence, quand il s’agit de Pixar, la raison recommande néanmoins de se satisfaire du très bon.
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