© 20th Century Fox France
Une mission terrienne est envoyée vers une planète lointaine susceptible d’abriter une vie intelligente. Elle est composée entre autres d’un couple de professeurs, Elizabeth Shaw et Holloway, d’une capitaine froide et distante, Vickers, ainsi que d’un androïde particulièrement raffiné et élégant, David. Shaw et Holloway, spécialisés en biologie et en anthropologie, espèrent ainsi pouvoir prouver leur théorie d’une origine extraterrestre à la vie terrestre…
À l’origine de « Prometheus », il y a une image : celle d’un squelette entrevu dans « Alien, le 8e passager », par les membres d’équipage du Nostromo lors de leur passage par la planète LV-426. Ce géant ossifié, avachi dans le siège immense de son poste d’observation, l’abdomen percé par un xénomorphe, semblait être le prolongement esthétique d’un vaisseau aux courbes très organiques. Ridley Scott avait regretté que le « Space Jokey » – ainsi fut-il baptisé – et que le cyclopéen vaisseau spatial qui l’environnait fussent oubliés une fois la créature mise en circulation. « Prometheus » répare cet oubli en nous propulsant quelques quarante années avant le premier « Alien », lorsque la Weyland Corporation, bien connue des aficionados de la saga, envoie sur la future planète Achéron une mission de reconnaissance financée à hauteur de mille milliards de dollars. Averti qu’il s’agit là d’une préquelle aux aventures terrifiantes du bestiau imaginé par H .R. Giger, le spectateur éprouve un malin plaisir à saisir toutes les références induites par le retour du fondateur de la saga à son genre – et à son film – de prédilection, depuis les échos scénaristiques jusqu’aux indices d’une progression vers le modèle que nous connaissons de la créature.
Mais l’essentiel n’est pas dans la re-connaissance de codes et de symboles, qui feront le plaisir de ceux qui ne considèrent le cinéma qu’à travers la citation. « Prometheus » est bien plus qu’une réminiscence science-fictionnelle de Ridley Scott, qui n’avait plus approché le genre qui l’a rendu célèbre depuis « Blade Runner » : c’est d’abord une suite talentueuse et inventive, au moins sur la forme, avant d’être une révision ironique des psychologies cinématographiques du space opera horrifique, une galerie des curiosités doublée d’une réflexion sur l’épaisseur de la vie humaine. À ce titre, tous les défauts potentiels du film – rupture franche dans le scénario arrivé aux deux-tiers, maigreur psychologique des personnages, absence d’enjeux pragmatiques – peuvent aisément s’inverser dès lors que l’on entrevoit « Prometheus » non plus comme le véhicule du caractère d’une femme forte, Elizabeth Shaw, digne successeur (ou prédécesseur, comme on voudra) d’Ellen Ripley, mais du point de vue du véritable protagoniste principal, David, l’androïde en chef incarné par le remarquable Michael Fassbender.
Le film ne s’ouvre pas sur lui, mais Scott lui réserve néanmoins une place fondamentale dans les vingt premières minutes. Passée une scène d’ouverture impressionnante de beauté visuelle, la caméra planant au-dessus d’un paysage extraordinaire façon « Shining » (en réalité les reliefs islandais mis en valeur par la technologie 3D) et une courte introduction mettant en scène Shaw et Holloway devant des peintures rupestres, tous les premiers instants du vaisseau financé par Weyland sont occupés par la présence magnétique de ce comédien, visiblement devenu indispensable à tous les genres cinématographiques. En regard des traditionnels androïdes d’ « Alien », David a une particularité : loin de n’être qu’un tas de boulons dédié à l’efficacité, il se veut très raffiné et distingué. Durant le long trajet qui mène l’équipage jusqu’au but de sa mission, David occupe son temps entre l’apprentissage des langues mortes les plus inextricables et le visionnage de films du patrimoine ; le temps d’une séquence, le voilà superposé à une scène de « Lawrence d’Arabie » où Peter O’Toole apprend à la cantonade comment éteindre une flamme avec ses doigts : « Il s’agit de ne pas faire attention à la douleur ». Ce collage est l’occasion de remarquer combien Scott a travaillé la ressemblance visuelle entre Fassbender et le Peter O’Toole du film de David Lean, ce même visage émacié, ces mêmes yeux profonds, ces mêmes cheveux blonds plaqués. Sans doute faut-il voir dans ce lien une admiration du droïde pour le caractère aventureux de Lawrence, son abnégation dans le dépassement de soi, jusqu’à la caricature du martyre. Ce n’est qu’ensuite, à l’approche de la planète, que les autres membres d’équipage quittent leur stase cryogénique afin d’intégrer la fiction de David.
Dans la logique de ces séquences, centrées autour de la découverte d’un personnage et d’un environnement, la première heure du film se déploie autour d’un principe exploratoire qui renvoie naturellement à « Alien » : visite des différentes parties du vaisseau, réveil de l’équipage, rencontre avec ses membres les plus importants, atterrissage sur la mystérieuse planète, exploration approfondie des installations artificielles, etc. En suivant un scénario peu versé dans l’originalité, Ridley Scott écarte la question de la nouveauté narrative pour se focaliser sur le travail formel et le soin apporté aux décors. Les longues scènes de visite du dôme, de la découverte de la salle au visage humain taillé ou du passage dans les galeries menant au vaisseau, confirment la proposition avancée par l’intrigant prologue : sous ses aspects de grande claque visuelle, « Prometheus » cherche moins à révolutionner le genre qu’à lui octroyer un nouvel environnement, une nouvelle épaisseur formelle. La technologie du XXIe siècle a permis un saut qualitatif dans la représentation et Scott utilise pleinement ces possibilités nouvelles, dans le prolongement d’un « Avatar », très loin de la tentation potentielle de vouloir refaire un film « type » des années 70 pour s’assurer un succès.
Cette orientation risque de décevoir une partie du public et des critiques. Elle est évidente en particulier dans la gestion des personnages, pour la plupart purement mécaniques, voire caricaturaux (le scientifique à la coupe de punk qui se dit intéressé uniquement par l’argent, pâle réminiscence des deux techniciens syndicalistes du premier opus), et culmine à travers la faiblesse de Vickers, incarnée par Charlize Theron, qui fait seulement acte de présence. Il y a cependant une autre manière de voir les choses, une volonté consciente de produire des personnages qui ne soient que des enveloppes vidées de leur substance. Ces protagonistes de chair et d’os s’apparentent à ces figures holographiques que l’équipage observe avec circonspection dans les couloirs du dôme, ou ces corps tirés des rêves de Shaw que David épie avec gourmandise, simples résurgences dénuées de dimensions. Ironiquement, Scott crée un parallèle entre nous, humains, dirigés par nos instincts et ambitions primaires, et eux, extraterrestres mutiques, dédiés à une impénétrable mission universelle, mais tous identiques. À distance, David observe l’entre-choc des formes de vie, stoïque, en toutes circonstances.
Pour son rôle, Fassbender dit s’être inspiré des réplicants de « Blade Runner », et c’est évident lorsqu’on compare son interprétation à celles de ses camarades : tous les humains du film sonnent creux et paraissent subir les événements, quand seul le non-humain semble avoir un temps d’avance sur le tout le monde et une vraie capacité d’étonnement, à la façon de Rutger Hauer faisant son laïus sur les merveilles du Cosmos. C’est l’être artificiel qui, paradoxalement, semble vivre les choses plus intensément que les autres, parce qu’il a dépassé depuis longtemps le stade des questionnements philosophiques humains (voir sa discussion avec Holloway au sujet d’une potentielle rencontre avec le « Créateur »). Quelque part, le Prométhée du film, allègrement cité par Weyland dans une intervention holographique, c’est bien lui : la passerelle entre l’Homme et ses dieux.
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