© Le Pacte
À Téhéran, en 1958, le célèbre violoniste Nasser Ali se retrouve avec son violon fétiche en morceaux. Malgré ses visites chez de multiples vendeurs d’instruments, il ne parvient pas à trouver son digne remplaçant. Désemparé, le musicien décide de se laisser mourir…
Alors que « Persepolis » était un dessin animé présentant des situations réalistes qui auraient très bien pu être filmées en prises de vues réelles, « Poulet aux prunes » est un film disposant de toutes les inventions et la liberté qu’il est possible d’observer dans un dessin animé. L’histoire se déroule selon l’imagination et la mémoire du conteur (la douce voix d’Edouard Baer).
Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud emmènent leurs spectateurs dans bien des directions au fil des flashbacks, ellipses et autres avancées dans le temps, à mesure que le narrateur se souvient de tel ou tel détail. En ce sens, l’adaptation suit exactement le déroulement du récit tel qu’il est conté dans la bande dessinée originale. Là où les deux cinéastes innovent, c’est qu’ils traitent l’esthétique de chaque rupture narrative de façons radicalement différentes. Ici, la technique ne saurait limiter l’imagination. Elle permet même d’explorer des idées complètement fascinantes. Employant différentes techniques, passant sans crier gare de la prise de vue au dessin animé, d’une atmosphère tragique à un délire complètement fantasque et irréel, d’une palette de couleurs plus sombres à un environnement plus brillant et ensoleillé, « Poulet aux Prunes » foisonne d’émotions, de références et d’idées merveilleuses.
Toutes ces savoureuses petites trouvailles trouvent exactement leur place lorsqu’il s’agit de plonger l’audience dans la psyché de chaque personnage abordé. Les présentations de chacun ne sont pas sans rappeler la manière que Jeunet (« Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » et « Un long dimanche de fiançailles ») adoptait pour dépeindre ses protagonistes en quelques plans et quelques phrases. Seulement, Satrapi et Paronnaud s’en détournent rapidement pour laisser place aux univers de leurs personnages. Tourmenté lorsqu’il s’agit de Nasser Ali, déluré lorsqu’on nous raconte les déboires de son fils, désabusé et sombre lorsqu’on s’intéresse à sa fille, embrumé lorsqu’on explore le magasin d’Houshang ou romantique et idyllique lorsque l’on découvre la belle Irâne.
Tout comme Mathieu Amalric revêtant le personnage de Nasser Ali, les interprètes sont, comme qui dirait, taillés pour leurs rôles, épousant parfaitement les traits que chacun aurait pu imaginer en découvrant la bande dessinée. Qu’il soit question de la tendre Maria de Medeiros, du badin Edouard Baer ou de la charmante Golshifteh Farahani, tous délivrent des performances à la hauteur des caractères hauts en couleurs de leurs personnages.
À travers Nasser Ali, le narrateur dévoile, en huit jours, la vie, l’avenir et le passé de toute une famille radicalement influencée par la personnalité du musicien. Naviguant tour à tour entre la comédie, la tragédie et même la fantaisie, cette histoire de violon brisé et de désir de mort se révèle au final être un magnifique hymne à la vie, à la jeunesse et à l’amour.
Second avis
Article rédigé dans le cadre du Partenariat
avec l' « atelier critique » du Lycée St Exupéry
Après « Persepolis », film autobiographique, Marjane Satrapi nous dévoile cette fois ci la recette de son « Poulet aux prunes ». Plat savoureux, mêlant différentes saveurs et restant particulièrement fidèle à la recette originale, elle parvient à le sublimer avec notamment comme ingrédient un casting très « fleuri ».
Dans ce deuxième film réalisé avec Vincent Paronnaud, l’univers bande-dessinée demeure omniprésent. Tous deux issus de ce milieu spécifique, il semblait impossible qu'ils s’écartent de ce cinéma d’animation. Et pourtant, dans cette nouvelle expérience des acteurs sont bel et bien présents. Mais, ce « Poulet aux prunes », encore une fois basé sur un album éponyme de l’auteur iranienne, à l’image de « Persepolis », se devait de rester fidèle, non seulement à l’histoire mais aussi à l’univers de la BD. Concernant la trame, tout y est, et il en va de même pour le graphisme. Le film alterne entre images filmées et images dessinées, différentes techniques d’animation en arrivent même à se côtoyer, allant du dessin animé à l’animation en volume.
Cette alternance des techniques de mise en scène est à l’image du film. Car autour de ce « Poulet aux prunes », c’est une déclinaison du cinéma sous toutes ses formes qui est offerte aux spectateurs. Les genres, eux aussi, s’entremêlent, de la parodie de sitcom américaine au film fantastique avec certains personnages qui se dédoublent en prenant le rôle de génies, ceci jusqu’au thriller organisé autour d’un MacGuffin digne des films d’Hitchcock, le tout pour mieux mettre en valeur les flash-back qui se succèdent, tout comme les visites vers un futur actuel. On passe ainsi du comique au tragique comme on passerait du poulet aux prunes. L’œuvre se veut complète, sorte de voyage dans l’art, elle rend hommage à toutes ses composantes. D’abord la bande dessinée, qui domine majoritairement le film du début à la fin, mais aussi la poésie avec notamment des citations du poète perse Omar Khayyam, bien sûr le cinéma, ou encore la peinture avec une reconstitution pleine d’humour de « La mort de Socrate » de David et enfin la musique, symbolisée par ce violon si important aux yeux de ce musicien désemparé.
Cependant, malgré cette liberté prise quant au mélange des genres et ce graphisme parfois irréel, l’histoire n’en demeure pas moins réaliste. Outre un scénario majoritairement inventé, Marjane Satrapi nous parle encore de son Iran natal, qui lui est visiblement cher, mêlant éléments autobiographiques et réalisme. Ainsi, dans le Téhéran de 1958 où vit Nasser Ali (Mathieu Amalric), on trouve un cinéma portant le nom de son ancien film, « Persepolis ». Les personnages, eux, ne sont pas des héros, mais des personnages de la vie quotidienne, un musicien, père de famille antipathique mais pourtant attachant, ou encore sa femme, Faringuisse (Maria de Medeiros), au physique et à l’attitude désagréables, qui parvient à nous émouvoir de par son désespoir.
Ce réalisme contribue à servir une description plus historique de l’Iran. Sous ces aires de conte perse, de ce film se dégage aussi un message de fond. Irâne (Golshifteh Farahani), allégorie explicite, évoque la situation iranienne, avec d’abord ce coup de foudre amoureux, par analogie à la société libérale de l’époque du gouvernement de Mossadegh et de l’influence américaine en Iran. De même, peu de temps après l’idylle entre Nasser Ali et sa bien-aimée, la demande en mariage, désapprouvée par le père, est assimilable à la chute de l’ancien Premier Ministre et la mise en place d’un nouveau régime dictatorial.
Enfin, dans ce premier film avec des acteurs, les réalisateurs se sont accompagnés d’un casting impressionnant. Outre Mathieu Amalric qui occupe une position centrale avec ce rôle parfaitement adapté du père de famille odieux avec sa femme (interprétée par Maria de Medeiros), on découvre aussi une figure iconoclaste d’un ange de la Mort, interprété par un Edouard Baer peint entièrement en noir pour l’occasion, mêlant charme et nonchalance. Il y a également Chiara Mastroianni, au comble du cynisme, incarnant Lili, fille de Nasser Ali, vingt ans après sa mort. Enfin, Jamel Debbouze fait de courtes apparitions, sous les traits d’un marchand digne des mille et une nuits, puis d’un vagabond, errant dans le cimetière, sorte de génie adoptant plusieurs apparences.
Clément Chautant
Lycée St Exupéry
27-09-2011
LA BANDE ANNONCE
Cinémas lyonnais
Cinémas du Rhône
Festivals lyonnais