affiche film

© Jour2fĂȘte

PAULINE S’ARRACHE


un film de Émilie Brisavoine

Pauline fait partie d’une famille complĂštement dĂ©jantĂ©e, composĂ©e d’une mĂšre excentrique, d’un pĂšre travesti, d’un frĂšre qui a quittĂ© le domicile familial et d’une grande soeur qui la gonfle. Elle a un petit ami nommĂ© Abel. Elle n’en fait qu’à sa tĂȘte. Et sa demi-soeur Émilie a dĂ©cidĂ© d’en faire l’épicentre d’un film consacrĂ© Ă  sa famille...


4
Photo film

Pauline, ça arrache !

Le concept du home-movie a tout pour susciter la polĂ©mique, entre ceux qui loueront son bagage inexpĂ©rimentĂ© propice Ă  une foudroyante Ă©nergie de filmer et ceux qui pesteront encore et toujours sur le nĂ©ant stylistique auquel ce genre de projet se rĂ©sume souvent. Par chance, "Pauline s’arrache" pourrait bien permettre aux deux camps de fumer le calumet de la paix. L’idĂ©e est aussi simple qu’inquiĂ©tante : une jeune rĂ©alisatrice en herbe passe prĂšs de cinq ans Ă  filmer toute sa famille au camĂ©scope, accumulant ainsi des centaines d’heures de rushes, jusqu’à finir par y piocher des bribes d’une fiction, centrĂ©e sur sa demi-sƓur Pauline, reconstituĂ©e Ă  partir d’archives bien rĂ©elles et torchĂ©e sans la moindre connaissance du cadre et du dĂ©coupage (ce que la rĂ©alisatrice assume avec une vraie honnĂȘtetĂ©). Vu comme ça, on craint le pire : va-t-on avoir droit Ă  un Ă©niĂšme dĂ©rivĂ© voyeuriste de l’émission Strip-tease ou Ă  la longue complainte existentielle d’une adolescente qui posterait son quotidien chiant comme la mort sur YouTube ? Ni l’un ni l’autre, bien au contraire


Est-ce un journal filmĂ© ? Est-ce un psychodrame familial ? Est-ce un ready-made expĂ©rimental ? Est-ce une chronique adolescente bidouillĂ©e Ă  la va-vite ? À vrai dire, le premier film d’Émilie Brisavoine (dĂ©jĂ  actrice dans "La Bataille de SolfĂ©rino") brouille sans cesse les pistes, un peu Ă  l’image d’une hĂ©roĂŻne sur le front de laquelle tous les superlatifs du monde pourraient ĂȘtre tatouĂ©s. Jolie, hilarante, conne, cool, exaspĂ©rante, bordĂ©lique, dĂ©glinguĂ©e, attachante, vĂ©nĂšre, manipulatrice, rĂąleuse, romantique, adorable, Ă©gocentrique : la Pauline en question est une tornade force 5 qui s’emporte contre tout et n’importe quoi (son pĂšre, sa mĂšre, son petit ami, ses copines, son Facebook, son smartphone, etc.). Le genre d’ado immature chez qui la rĂ©bellion n’est que le signe d’une dĂ©connexion avec le « vrai » (mais pas avec les rĂ©seaux sociaux
), qui n’arrive pas Ă  comprendre sa propre famille Ă  force de se construire ses propres rĂšgles de vie, qui s’isole des autres Ă  force de passer de l’un Ă  l’autre. Le genre d’hĂ©roĂŻne irrĂ©sistible que l’on prend un plaisir pas possible Ă  suivre dans son quotidien, que ce soit pour partager ses rĂ©flexions existentielles hilarantes ou pour se limiter Ă  compter le nombre de fois oĂč elle finit ses phrases par « Tu vois » (Ă  un moment donnĂ©, on a arrĂȘté ). Elle est Ă  l’image du film : un torrent de vĂ©ritĂ© chopĂ©e sans rĂ©flĂ©chir qui transpire le vĂ©cu Ă  tous les niveaux.

Pour redonner un bon coup de peps Ă  la chronique adolescente (un genre devenu un clichĂ© Ă  part entiĂšre), on ne pouvait pas trouver mieux que ce montage instable et siphonnĂ©, usant d’une image de camĂ©scope incroyablement dĂ©gueulasse, et Ă©laborĂ© sous la forme d’une structure de conte de fĂ©es (avec des cartons inspirĂ©s de "La Belle au Bois Dormant"). Ce gros « plus » narratif est aussi ce qui atomise les travers dans lesquels le film aurait pu tomber : d’une part, cela impose une lecture symbolique du rĂ©cit et des enjeux Ă©motionnels, et d’autre part, cela permet Ă  la camĂ©ra de contourner habilement le voyeurisme un peu sectaire qui aurait pu Ă©ventuellement s’installer de par le caractĂšre trĂšs queer de cette cellule familiale. En optant pour l’angle du conte – pas si – fĂ©Ă©rique, Brisavoine fait dĂ©vier son tableau d’une famille aux allures de « cage aux folles » (il n’y a qu’à voir la scĂšne d’ouverture oĂč toute la smala est travestie !) vers celui d’un cocon doux-amer, oĂč l’on assume son extravagance avec une sincĂ©ritĂ© jamais feinte, et ce au point de ne jamais craindre de l’exhiber. Parce qu’ici, camĂ©ra oblige, tout devient prĂ©texte Ă  crĂ©er un spectacle mĂȘme si tout n’est que pure vĂ©ritĂ© des actions et des sentiments.

Outre une science du dialogue qui fait hurler une vĂ©ritĂ© sans fard dans chaque Ă©change verbal (on pense souvent aux premiers films-maison de Sophie Letourneur), rien ne sera plus puissant ici que cette astuce de scĂ©nario qui ouvre alors une dĂ©licate fenĂȘtre sur l’intime. Dans une scĂšne judicieusement situĂ©e en fin de bobine, la rĂ©alisatrice montre Ă  Pauline et Ă  son pĂšre une scĂšne du film, que l’on a dĂ©jĂ  vue avant et dans laquelle se dĂ©roulait une dispute assez violente entre les deux. L’occasion d’une remise en question rĂ©ciproque par le biais de la fiction, sans pathos ni angĂ©lisme, entre deux ĂȘtres qui dĂ©couvrent leur vĂ©ritĂ© cachĂ©e Ă  travers le spectre du cinĂ©ma. Dans ces moments-lĂ  oĂč le rĂ©el sert de projecteur sur la fiction et oĂč cette fiction finit par se recentrer sur le rapport entre une fille rebelle et son pĂšre, c’est tout juste si le film ne devient pas malgrĂ© lui la version punk du mĂ©morable "À nos amours" de Maurice Pialat.

Par le titre "Pauline s’arrache", il fallait aussi bien comprendre l’idĂ©e de se dĂ©tacher du cocon familial que celle de dĂ©chirer l’enveloppe sociale que l’on se construit en bouclier Ă  ceux qui nous entourent. Sous l’impulsion d’une Pauline qui devient le point de vue pĂ©riphĂ©rique de l’ensemble de la famille, ce film bourrĂ© d’énergie ne raconte que ça : une libĂ©ration punk qui dĂ©marre dans la rage incontrĂŽlĂ©e pour finir dans l’apaisement gĂ©nĂ©ralisĂ©. Ce que la bande originale un peu foutraque – on y entend aussi bien Christophe Willem que Marilyn Monroe – traduit Ă  merveille par son usage malin de la 25e symphonie de Mozart : remixĂ© Ă  la guitare Ă©lectrique dĂšs la scĂšne d’ouverture, le morceau reprendra finalement son caractĂšre lyrique lors du final, achevant ainsi la rĂ©surrection du foyer et la joie dansante de chacun de ses membres.

Au final, il est indiscutable qu’Émilie Brisavoine a encore beaucoup Ă  apprendre pour construire un dĂ©coupage correct et pour rĂ©ussir Ă  donner une vraie consistance Ă  un cadre. Pour autant, en l’état, elle ne dĂ©mĂ©rite en aucun cas dans son projet plus ou moins rĂ©flĂ©chi de cinĂ©ma improvisĂ© et « appris » sur l’instant : ce gribouillage filmique bien dĂ©guisĂ© en portrait de famille bien dĂ©jantĂ© renifle une modernitĂ© joyeuse et dĂ©balle une Ă©nergie narrative que peu de films cannois pouvaient se targuer de lĂącher sur la Croisette (le long mĂ©trage a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© dans la section de l’Acid 2015). Et rien que pour ça, cette Ă©toile filante mĂ©rite le respect


Donnez votre avis (0)

Partager cet article sur Facebook Twitter