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Au cœur de la jungle et des combats qui opposent les rebelles à l’armée colombienne, dans la zone démilitarisée, un bébé voit le jour. Le mystérieux nourrisson est confié à une famille de paysans, Crisanto, Liliana et leurs enfants, pour qu’ils le soignent et le nourrissent jusqu’à ce que les FARC viennent le récupérer. Honnête cultivateur de coca, prisonnier de la jungle, Crisanto se trouve coincé entre les rebelles d’un côté et les autorités officielles de l’autre, tandis qu’en arrière-plan se prépare la libération de l’otage Clara Rojas…
Le réalisateur franco-espagnol Miguel Courtois nous a habitués au meilleur – « El lobo » avec Eduardo Noriega, « GAL » avec José Garcia – comme au pire – « Skate or Die » ou cette série adaptée de l’insupportable Marc Lévy, « Où es-tu ? ». C’est pourquoi son nouveau film n’était pas vraiment attendu, malgré un sujet fort intrigant : une fiction inspirée des faits réels entourant la libération par les FARC des politiciennes colombiennes Clara Rojas et Consuelo Gonzalez, en 2008. Clara Rojas, par ailleurs camarade de captivité d’Ingrid Bétancourt dans la jungle, eut un enfant avec l’un de ses geôliers, Emmanuel, dont les FARC promirent la libération en même temps que sa mère ; mais les autorités découvrirent plus tard que l’enfant avait été remis à une famille d’accueil de Bogota, où Clara Rojas le retrouva. Le film se propose de relater l’histoire de la famille à laquelle cet enfant fut confié, et ambitionne, par ricochet, de montrer les conséquences du conflit entre les FARC et l’État sur les innocentes populations, forcées de vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.
À vue de nez, on se doute que l’heure quarante-cinq qui va suivre ne sera pas vraiment une partie de plaisir, d’autant que le film s’ouvre sur un plan fixe d’une plaine, avec la jungle en arrière-plan, et sur les cris d’une femme suivis des pleurs d’un nouveau-né, avant que l’espace tant visuel que sonore ne soit envahi par la guerre – hélicoptères, soldats, coups de feu. Il faut cependant passer un prologue où Miguel Courtois nous gratifie d’un Luis Tosar en apesanteur, les yeux fous, qui, sous une lumière blafarde, nous raconte d’où il vient et comment il rencontra sa femme, interrogé par d’invisibles bourreaux – des FARC ? des agents du gouvernement ? L’effet est prenant, mais il ne révolutionne pas l’histoire de la narration. Tandis que l’entrée en matière forestière, elle, vaut le coup d’œil.
Toutefois, il ne faut pas s’y tromper : ce n’est pas le style, médiocre, qui fait l’intérêt de « Opération E », mais le témoignage indirect des populations en souffrance qu’il donne à voir. Courtois n’est visiblement ni un grand metteur en scène, ni un excellent directeur d’acteurs – voir le jeu discutable des officiers des FARC, terriblement cliché – alors il se repose, à raison, sur un scénario bien agencé et sur des comédiens remarquables, Luis Tosar en tête. Le vilain gardien d’immeuble de « Malveillance » (de Jaume Balaguero) cède la place à un pauvre hère soucieux de protéger sa famille contre les aléas, prisonnier malgré lui d’une jungle où il était venu chercher fortune. Sa maigre plantation de coca, dont il vend la récolte exclusivement aux régiments des FARC, lui suffit tout juste pour nourrir les siens. Non seulement l’arrivée de l’enfant mystère vient entériner son statut d’otage de la guérilla, presque autant que les prisonniers de la jungle, mais elle a également pour conséquence de révéler l’univers kafkaïen qui est le sien : comment soigner un nourrisson malade quand les soldats interdisent l’accès au dispensaire, situé hors de la zone ? Comment accepter de payer sa soumission aux rebelles par le recrutement forcé de ses propres garçons ? Devant l’absurde, Crisanto fuit avec sa famille. La première ville qu’ils atteignent, hors de la zone, s’appelle « El Retorno » : « Le Retour », tout un symbole pour ceux qui se sont extirpés d’une jungle infernale pour retrouver la civilisation.
Toute sa vie, dès lors, n’est plus qu’une fuite en avant motivée par la survie de cet enfant, dont dépend aussi celle de sa famille. Crisanto incarne le citoyen colombien lambda, obligé de se faufiler tant que faire se peut entre les guérilleros et les agents de l’État, faisant croire aux uns qu’il épouse leur cause, assurant les autres de sa plus franche collaboration, selon les circonstances. Pour autant, face à ce drame du quotidien, le spectateur n’est jamais tenté de reprocher à Crisanto un quelconque manque de conviction. Car il faut bien vivre, et tant pis pour ces gens qui, derrière, se déchirent pour des raisons politiques. La politique n’a jamais nourri son homme ni éduqué son enfant.
Le portrait christique que peint Courtois de Crisanto n’est pas sans s’accompagner d’une suspicion de misérabilisme, mais une fois de plus, l’excellente performance de Luis Tosar permet d’échapper au soupçon. Elle n’empêche pas le réalisateur de se laisser déborder par la tentation, notamment sur la fin, lorsqu’il filme la famille du héros, délaissée, à l’abandon, faisant la manche dans les rues de la ville. Il y a quelque chose d’obscène à vouloir montrer, voire démontrer, cet état de fait – dont le spectateur pouvait seul se douter. On oubliera volontiers cette scorie pour mettre en avant les qualités d’un film un peu too much dans sa mise en scène (caméra à l’épaule et tout, et tout), mais touchant par son récit.
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