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Une bande de jeunes décide de faire exploser des lieux stratégiques de Paris. Le chaos s’empare de la capitale. Mais eux, célèbrent…
Des jeunes déambulent dans les dédales du métro parisien. Leurs mouvements sont précis, organisés. Certains se croisent, d’autres se regardent. Leur nervosité est palpable, les gestes sont tremblants. Le balai est agité, les silences des protagonistes sont brisés par les annonces redondantes de la RATP. Durant plusieurs minutes, presque en caméra caché, "Nocturama" intrigue, angoisse, exalte. Puis les héros sortent de terre. Les premiers mots se font entendre. On comprend progressivement leurs errances : faire exploser Paris. Mais si dans "Le Pornographe", les revendications de la jeunesse étaient explicites, elles resteront ici hors champs. La poésie a laissé place à la radicalité.
Traiter aujourd’hui du terrorisme est plus qu’une opération délicate. Sauf que Bertand Bonello le fait de la meilleure des manières : en assumant pleinement l’aspect fictif de son récit, ne cherchant pas à se positionner en journaliste observateur dont la chronique aurait forcément était incomplète et simpliste. Usant de toute sa grammaire cinématographique, le réalisateur dessine une œuvre lyrique, quasi-onirique, tout en esquissant le portrait de jeunes issus de milieux variés dont les velléités révolutionnaires vont les amener à embraser la capitale. Surtout, le film repose sur un postulat particulièrement intéressant : les terroristes ne sont pas encore des adultes, et leurs attaques ciblent des lieux stratégiques, symbole de pouvoir politique et financier.
Divisé en deux parties, le métrage brille aussi bien par sa mise en scène inspirée que par son minutieux montage. Disséminant habilement quelques flash-back (le premier surgit des yeux de la statue de Jeanne d’Arc en flammes, difficile de faire plus fort comme symbole), la reconstitution de la pensée de ces « chevaliers » candides est nébuleuse, à l’image de leurs idées égarées entre utopisme et rejet absolu d’une société consumériste, liberticide et inégalitaire. Retranchés dans le gigantisme d’un grand magasin, emblème des dérives dont leurs actes sont censés nous purifier, le film évolue doucement vers un monde de tous les fantasmes. Dans ce lieu infini, les chimères prennent vie, les membres de cette bande se muant en fantômes d’une ville qui a cessé de vivre.
En jouant avec la lumière et les apparences (aussi bien implicitement que par des jeux avec des masques et mannequins de plastique), "Nocturama" s’avère être une grande tragédie, dans la plus pure tradition. Avec son électro planant et son rap énervé, ce drame développe une atmosphère singulière flirtant étonnamment avec l’absurde. Le cœur du métrage est ainsi un entre-deux, un temps d’attente d’une beauté troublante où les fêlures et les doutes des protagonistes se marient avec leur naïveté et leurs songeries. Détruire pour reconstruire. Rêver pour exister. Et inversement. Dans les murs de cette citadelle du pêché de la consommation, ces jeunes redeviennent des enfants, jouent de manière insouciante dans un espace où le réel ne se matérialise qu’à travers quelques écrans de télévision.
Capturant un état d’esprit et un sentiment de révolte, Bertrand Bonello magnifie et transcende un propos sur lequel tout a déjà été dit. Le retour à la réalité (la séquence finale, d’une violence assourdissante) n’est que le reflet d’une œuvre jusqu’au-boutiste où le manichéisme ne peut exister. Les notes entêtantes du générique d’"Amicalement Vôtre" nous conduisent vers les cartons de fin. On reste étourdi, sonné, avec une impression étrange. Peut-être celle d’avoir assisté à quelque chose qui dépasse le cadre du Cinéma…
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