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Mozart avait une sœur aînée surnommée Nannerl. Enfant prodige, elle est présentée avec son frère à toutes les cours européennes. A l’issue d’un voyage familial de trois années, elle rencontre à Versailles le fils de Louis XV qui l’incite à écrire de la musique. Mais Nannerl est une fille et une fille n’a pas le droit de composer…
Chez René Féret, le processus de création cinématographique se confond avec la construction de la cellule familiale. Littéralement, puisque le réalisateur travaille avec son fils (premier assistant à la mise en scène), sa femme (monteuse, coproductrice) et, dans « Nannerl », ses deux filles, l’aînée incarnant la sœur de Mozart, et la benjamine l’une des filles de Louis XV. Et métaphoriquement, puisque le sujet de ce long-métrage entre en collusion avec la réalité d’une famille liée par le goût et la création artistique. Une longue scène montre les Mozart au moment du coucher, dans une petite chambre proche du château de Versailles, se querellant pour de rire et pour de vrai tandis que les enfants se battent à coups de polochons. Projection d’un réel en construction ? Imagerie à peine fictionnelle des rapports élémentaires entre les membres d’une communauté de sang ? Sans nécessairement injecter de la psychanalyse dans le cercle intime de la famille Feret, gageons tout de même qu’il existe, à tout le moins, des correspondances troublantes entre les faits et leur variation imaginaire.
Au-delà de ce réel intimiste surgit une autre réalité, historique, qui est celle de la trajectoire des Mozart parcourant l’Europe pour présenter leurs deux prodiges d’enfants aux cours royales. Loin, très loin du formalisme d’un Milos Forman sur « Amadeus », en marge de l’immensité du « Barry Lyndon » de Kubrick (modèle de toute façon absolument indépassable), René Féret choisit la représentation la plus réaliste possible du XVIIIe siècle, avec force documentation et compulsion d’ouvrages historiques, en se rapprochant du travail formel de Rossellini sur son téléfilm « La Prise du pouvoir par Louis XIV » – toutes références comprises dans une époque allant de 1966 à 1984, ce qui n’a rien d’un hasard puisque l’Histoire ne fut jamais aussi bien représentée à l’écran qu’avant l’avènement des effets numériques au début des années 90.
Féret n’a toutefois ni la force baroque de Forman, ni le lyrisme coloré de Kubrick, ou c’est peut-être qu’il leur préfère un académisme décoratif qui cherche moins à représenter le siècle des Lumières qu’à le reproduire, en visant l’exactitude, avec tout ce qu’une telle ambition implique de renoncement de fait à la technique cinématographique : beaucoup de plans fixes, de champs-contrechamps, peu de mouvements de caméra, une absence totale d’onirisme dans la forme. A la limite entre essai et romance, Féret oublie la luminosité délirante de « Barry Lyndon » et le faste visuel de Rossellini pour bâtir un objet attirant mais trop scolaire, trop forcé. Une sorte de rédaction dont le sujet serait un personnage historique – la fameuse sœur de Mozart, tout à fait réelle – et la thèse principale la question de sa place dans une société sclérosée. Car tout l’argumentaire de Féret tourne autour d’une réflexion sur la place de la femme artiste au cœur du XVIIIe siècle, à une époque où, comme l’indique le résumé, « une fille n’a pas le droit de composer ». Argument 1 : Nannerl est une jeune femme d’une grande sensibilité musicale. Argument 2 : née quelques décennies trop tôt, elle subit l’emprise d’un monde où seuls les hommes peuvent prétendre aux grandes places de la scène musicale. Conclusion : triste destin que celui de la musicienne interdite de composition et de violon. Difficile, en conséquence, de se prendre au jeu d’une intrigue limitée à son énoncé initial.
Pour filmer son siècle, Féret préfère aux travellings et aux débauches formelles la fixité des plans et la musique des paroles, prononcées sur un ton qui se veut détaché et presque désintéressé. Il enserre donc ses personnages dans cette fixité, les immobilise comme dans un cercueil, les fait prisonniers d’un temps qui n’est décidément plus. Personnages ressemblant à des spectres, qui évoluent en flottant dans le cadre plutôt qu’en marchant (et, en effet, on ne voit presque jamais leurs pieds). Protagonistes aux visages blafards et poudrés, tels qu’ils seraient vus à travers le linceul, comme dans cette merveilleuse séquence du « Vampyr » de Dreyer qui nous donne à voir le monde depuis un cercueil. Ce sont les visages de la mort, et c’est précisément à la mort que joue le caustique dauphin du roi, aimé de Nannerl, qui, paradoxalement, n’a « pas le droit de mourir », et qui prend ce droit à pleines mains, réveillé seulement par la musique vivante de la jeune Mozart. C’est peut-être cela qu’il manque à ce film, qui eût pu être très beau : que l’ambition historique, trop universitaire, disparût quelque peu derrière la musique, et que la réflexion sur le style s’effaçât au profit de la pure émotion.
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