affiche film

© Ankama

MUTAFUKAZ


un film de Shojiro Nishima et Guillaume Renard

À la suite d’un accident de scooter provoqué par la vision d’une mystérieuse inconnue, Angelino, un livreur de pizza de Dead Meat City, commence à être pris d’étranges hallucinations. D’autant que d’étranges hommes en noir se lancent à sa poursuite pour une raison qui lui échappe. C’est le début d’une fuite violente avec son fidèle ami Vinz, afin de découvrir la vérité…


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Photo film

Ma 6-T va (te) crack-er (la gueule)

Bon, déjà, pour tous ceux – et on les imagine nombreux – qui s’étonneraient d’un titre aussi bizarre, prononcez-le à l’américaine, histoire de mieux saisir le truc… C’est même assez vital, puisque la coolitude badass dégagée par ce titre suffit à définir remarquablement bien ce qui faisait la spécificité de la bande dessinée de Guillaume Renard (ou « Run » pour les intimes). En combinant la crudité graphique de comics à la sauce Wanted ou Watchmen avec des influences west coast en matière d’univers marqué par la violence urbaine, les cinq volumes de Mutafukaz constituaient un rare exemple de fuite en avant outrancière, punk et diaboliquement énervée, du genre à nous scotcher au fauteuil d’une case de BD à l’autre par un style graphique dégénéré au possible. Adapter ce monument était une gageure, ne serait-ce qu’en raison de sa brutalité intrinsèque. Mais en restant dans la case de l’animation (genre ô combien précieux pour s’autoriser les idées graphiques les plus folles), cette coproduction franco-nippone – coréalisée par Guillaume Renard lui-même – pouvait à peu près tout se permettre et en retranscrire l’exubérance avec un vrai souci du détail.

Fruit d’une collaboration inédite et gratifiante entre le studio Ankama (à qui l’on devait déjà "Dofus") et le studio 4°C (les génies japonais derrière "Amer Béton" et "Mind Game"), "Mutafukaz" est clairement ce qu’il est convenu d’appeler une « expérience ». Expérience narrative, d’abord, au vu d’un scénario qui fait mine de reprendre la trame globale du volume 1 pour ensuite tracer une route en zigzag dans l’imprévisibilité la plus complète. Expérience sensitive, ensuite, de par une mise en scène cocaïnée jusqu’à la rate qui abuse de décadrages obliques, de plans astraux et de cartons métatextuels pour remettre sans cesse en perspective son propre matériau et rabattre ainsi les règles de ses propres objectifs. Expérience graphique, enfin, si l’on en juge par la virtuosité et le dynamisme avec lesquels cet univers urbain – en tout point aussi riche et sublime que l’était celui d’"Amer Béton" – a été retranscrit. Le jeu brillant sur les rapports d’échelle, ici intensifié par la multiplicité des angles et l’instabilité des perspectives du cadre, a même vite fait d’interpeller le parcours évolutif des deux protagonistes (deux branleurs doublés en VF par Orelsan et Gringe, alias les Casseurs Flowters : une idée de génie !) comme exploration constante des limites du libre arbitre de tout un chacun dans un monde tentaculaire qui tend à vouloir ranger l’individu dans une case qui lui serait initialement allouée – ce qui était déjà un peu le sujet intrinsèque de la BD d’origine.

Au vu d’un découpage surspeedé qui met constamment l’action – furieuse – et l’énergie interne du récit sur un piédestal, le résultat réussit à contourner tous les obstacles qui auraient pu le freiner pour de bon (dont un dernier tiers un poil confus, il faut bien l’avouer) pour embrasser de plein fouet le relief d’une authentique quête existentielle, la gueule en sueur et le gun à la main. Porté par des dialogues très mal élevés et une BO électrique de Toxic Avenger co-composée avec Guillaume Houzé, qui se cale à mort sur les pulsations cardiaques du spectateur, "Mutafukaz" ne se veut rien d’autre qu’une œuvre animée qui place le politiquement correct dans son viseur et qui accepte l’invraisemblable avec un sourire de gros crâneur qui s’assume fièrement – bravo pour l’hilarante pirouette finale. Ni plus ni moins qu’une authentique tornade techno-trash qui défonce tout sur son passage et qui ne rend pas votre dépouille après coup. Si grisant qu’on en ressort avec l’impression d’avoir fait la bise à un train.

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