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© Les Films du Losange

MELANCHOLIA


un film de Lars von Trier

avec : Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland, John Hurt…

Au soir de son mariage avec Michael, Justine se laisse envahir par une mélancolie qui la détache peu à peu de la réalité, et la pousse à gâcher ses noces. Tandis qu’elle détruit consciencieusement tout ce qu’elle a bâti, famille et travail confondus, la planète Melancholia se rapproche à toute vitesse de la Terre, menaçant d’entrer en collision avec elle…


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Le soleil noir de la mélancolie

La polémique autour des propos de Lars von Trier durant la conférence de presse cannoise dédiée à la sélection officielle de « Melancholia » a largement gommé l’importance du film lui-même, qui sans ces frasques aurait peut-être remporté la récompense suprême. Au lieu de cela – ou à cause de cela – un prix de la meilleure interprétation est revenu à Kirsten Dunst, lot de consolation qui avait néanmoins le mérite de souligner l’exceptionnelle performance de la comédienne : jamais le sentiment mélancolique ne s’était si parfaitement peint sur le visage de quiconque sur grand écran, jamais un regard n’aura été si lointain, perdu au-delà de l’horizon.

Dans « Melancholia », qui est un film dialectique, Kirsten Dunst paraît d’autant plus détraquée que sa sœur dans le récit, Charlotte Gainsbourg, est calme et ordonnée. Lars von Trier a divisé son œuvre en deux parties, chacune nommée d’après l'une des deux sœurs : Justine et Claire. La première dresse un tableau inquiétant d’une société réduite à un microcosme : dans un somptueux château, toute la famille est réunie pour une noce à laquelle Justine, la mariée, ne participe que de loin, tandis que les convenances s’écroulent une à une. Justine, dont le prénom évoque l’héroïne de Sade, laisse s’exprimer des pulsions incontrôlables, conséquences de son inquiétude spirituelle. La seconde se resserre autour de Claire, de son mari John et de leur fils, effrayés par l’approche d’une planète qui doit frôler la nôtre avant de poursuivre sa course dans le cosmos ; Justine n’y est plus qu’une ombre apathique, incapable de se nourrir, bercée par un spleen nihiliste.

Ces deux parties sont précédées par une ouverture fantasmatique, à la façon d’un opéra : une dizaine de minutes projetées au ralenti, mélange de gothique et de romantisme, au son du prélude de Tristan et Isolde de Wagner. Ces quelques minutes, qui furent parmi les plus marquantes du festival de Cannes, voient se succéder des images de Justine en robe de mariée, étrangement flottante, d’un puissant cheval pris dans le mouvement, de lunes multiples projetant leurs ombres mystiques et contradictoires, jusqu’au paroxysme qui voit la planète Melancholia s’écraser sur notre monde. Ces corps en apesanteur traduisent une magie puissamment évocatrice, que Von Trier cultive depuis « Antichrist ». Impossible de rester insensible à ces images-là. Impossible de ne pas les aimer ou les détester. Le reste du long-métrage est à leur mesure : il raconte la même histoire diluée dans le temps, étirée à l’extrême vers l’errance mentale d’un côté, la résignation mortifère de l’autre.

Angoissée et fébrile dans le premier volet, emportée doucement vers l’errance mentale, Justine finit par se résigner au chaos. Dans le second volet, elle est prête : à voir la planète étrangère entrer en collision avec la Terre. A assister de l’intérieur à la destruction de l’humanité. Son discours nihiliste nourrit l’angoisse de ses proches : « La Terre est mauvaise, elle ne manquera à personne ». Puis : « Nous sommes seuls dans l’univers », mettant fin ainsi à la foi scientifique qui veut que la destruction de notre civilisation ne signifie pas la disparition de toute intelligence dans le Cosmos. Raté : Melancholia siphonne toute vie. Débarrassée de tous les oripeaux d’une situation sociale convenable, Justine occupe moins la seconde partie qu’elle ne la hante, fantomatique et éphémère, délaissant la compagnie des êtres humains au profit d’une communion avec la nature. Dionysiaque, elle pousse le vice jusqu’à se caresser sous la lumière bleutée de Melancholia.

Si le nom latin donné à la planète est celui de la mélancolie, c’est parce que les trajectoires du corps céleste et du corps terrestre communient étrangement dans le fatalisme. La mélancolie s’extraie de la nuit des temps pour venir se fracasser contre l’esprit humain, et le perdre sur la route du nihilisme. L’acceptation, ou résignation, reste l’ultime possibilité. Melancholia s’approche, d’abord discrète, dissimulée par le mari astronome derrière le nom d’Antarès, invisible à l’œil nu. Plus la planète approche et plus Justine se laisse envahir par la mélancolie. Celle-ci la frôle, puis revient pour le finale. Victoire de mélancolie / Melancholia, victoire du corps céleste sur le corps terrestre. Victoire de l’idée poétique, qui laisse flotter sur les lèvres une interrogation : et si nous n’avions pas passé le film sur Terre, mais sur Melancholia ? Et si le récit avait pour décor le projectile plutôt que la cible ?

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