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Les planches à billets tournent à pleine vitesse pendant que les lingots d'or fraîchement fondus et provenant d'Afrique sont rapatriés en Suisse… Faisant se succéder interventions d'experts et séquences montrant la pauvreté des pays émergents, ce documentaire dénonce les excès et les dérives de la mondialisation et des placements offshores...
Un jour viendra, le monde se rendra compte que le capitalisme est la plus grande escroquerie de toute l'histoire de l'humanité. En attendant, d'excellents documentaires ("Les seigneurs de la mer", "Le cauchemar de Darwin", "Le monde selon Santos"…) tentent tant bien que mal de nous sensibiliser contre la nouvelle religion du monde moderne: le profit à tout prix.
Le nouvel opus d'Erwin Wagenhofer en fait assurément partit. Deux ans après "We feed the World", sombre documentaire sur l'industrie agro-alimentaire, le réalisateur autrichien s'attaque cette année à un sujet plus vaste, plus complexe mais bien plus d'actualité: les mécanismes financiers et leurs perversions. Après une crise due aux élucubrations d'investisseurs et juste au moment du G-20 sur la législation des paradis fiscaux et autres joyeusetés libérales, on peut dire que "Let's make money" tombe à pic.
Ce sont les investisseurs et les paradis fiscaux qui sont cette fois-ci dans la ligne de mire. Le documentaire s'attache à nous faire prendre conscience que si l'on est parvenu à s'enrichir (grâce notamment aux placements financiers aux taux de rémunération frisants l'indécence), c'est que l'agent a bien été dépossédé de quelque part. Dès le début, on prend conscience que l'argent investit dans un pays ne revient pas aux citoyens mais bien à une minorité d'actionnaires étrangers se contrefichant absolument des conséquences désastreuses que ce type de pratiques peut engendrer autant d'un point de vue social qu'écologique.
"Let's make money" nous déconstruit le système dans toute sa décadence et son irresponsabilité. Les exemples foisonnent: l'Afrique dépossédée de son coton et de son or par d'énormes multinationales, l'Inde en véritable déchèterie pour de multiples industries occidentales et les côtes espagnoles se retrouvant défigurées par des hôtels et résidences touristiques en friches complètement vides n'ayant pour seul intérêt que la spéculation sur leurs valeurs. On aura même droit aux incroyables révélations d'un ex-"economic hitman" du gouvernement américain. Entre stupeurs et aberrations…
Dans la lignée de son premier documentaire, Wagenhofer excelle dans l'art de faire passer son point de vue par des suggestions. Il décrédibilise de manière très fine et amusante les propos pro-capitalistes par des plans et des transitions débordants d'éloquence. Les plans présentant l'opulence côtoyant l'extrême pauvreté et des affiches de développements immobiliers aux abords de bidonvilles sont légions tout au long du film. Aussi jubilatoire que consternant…
Le principal reproche que l'on peut faire au film se situe au niveau de la forme. « Let's make money » manque profondément de didactisme et de vulgarisation. Pour ceux qui ne sont pas initiés aux mécanismes économiques et surtout financiers, il s'agit là d'un documentaire particulièrement difficile à suivre. Aucune voix off ne nous guide. Ce sont les différents intervenants (leurs jargons y compris) et les nombreuses séquences silencieuses qui rythment ce documentaire. Il est, de ce fait, possible de ne pas en comprendre la structure. Il s'agit là d'enchaînements de conséquences assez complexes et le réalisateur choisit de nous en offrir un éventail le plus large possible (mais pas systématiquement le plus approfondit).
Sur le fond, Wagenhofer prend clairement parti et les anti-capitalistes sont toujours présentés comme des référents. Leurs dires sont à chaque fois servis sans aucune remise en question à contrario du point de vue des investisseurs par exemple. Enfin, en s'évertuant à ne dénoncer que cette domination du Nord sur le Sud (notamment dans tout le passage en Afrique), il omet aussi de signaler qu'une minorité de locaux s'enrichissent sur le dos de leurs compatriotes.
On pourrait enfin s'indigner sur le fait que le documentaire ne dénonce finalement que des vérités connues par tout citoyen un tant soit peu informé sur la crise et qu'il ne propose pas vraiment d'alternative au système en place. Je dirais qu'il faut retenir un point de vue crucial émit par Mark Mobius, éminent responsable des investissements sur les marchés émergents pour le compte de Franklin Templeton Investment: "Un investisseur ne doit pas être responsable de l'éthique, de la pollution de ce qui a trait à l'entreprise dans laquelle il investit. Ce n'est pas son travail. Son travail est simplement de repérer les meilleures opportunités pour en soutirer le plus gros profit". Cette intervention résonne tout au long du film et même longtemps après son générique de fin. Et si l'on commençait par repenser le travail d'un investisseur avant de reconstruire un système tout entier ?
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