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Eric Lomax est un passionné de trains. Il les connaît par cœur, peut discourir des heures sur les différents parcours ferroviaires à travers l’Écosse et sur les horaires des convois. Quand il rencontre Patricia Wallace, sa seconde femme, il tente de lui cacher le syndrome post-traumatique dont il souffre depuis son emprisonnement par les Japonais durant la Seconde Guerre mondiale. Il y a contribué à l’édification d’une voie de chemin de fer entre le Siam et la Birmanie, et a surtout subi d’innommables séances de torture…
Regarder "Les Voies du destin", c’est un peu comme dîner dans un bon restaurant traditionnel : la cuisson de la viande est nickel, l’accompagnement bien assaisonné, la mousse au chocolat préparée comme chez maman, le cadre convenable et les voisins de tablée agréables. Le repas était très bien, merci, mais pas exceptionnel. Il y manquait un zeste de folie, une pincée d’audace, le petit truc qui aurait transformé la dégustation de « correcte » en « excellente ». Voilà à peu près ce que l’on éprouve après les deux heures de projection du film de Jonathan Teplitzky. Mise en scène très discrète, acteurs irréprochables, voire ostensiblement oscarisables, sujet honorable – bref un ensemble tout à fait présentable, de ces films que l’on pourrait sans risques présenter à sa maman. Et, précisément, il se trouve que l’on en attendrait un peu plus. Que l’on aimerait voir imploser les convenances, exploser les limites qui collent habituellement à un sujet si étriqué (traumatisme, guerre, indulgence, blabla). Pas de surprises, "Les Voies du destin" se contente de rester paisiblement sur ses rails jusqu’à la prochaine gare.
Jonathan Teplitzky met ici en images, à partir du scénario d’Andy Paterson et Frank Cottrell Boyce, le livre autobiographique d’Eric Lomax, The Railway Man, qui relate son emprisonnement dans un camp japonais, à Singapour, durant la Seconde Guerre mondiale. La mention « histoire vraie » est souvent une clause délicate dans le contrat tacite passé entre le film et son modèle authentique ; c’est régulièrement le meilleur moyen pour produire un long-métrage le plus consensuel possible. "Les Voies du destin" – avec son titre français ronflant à souhait – entre exactement dans cette catégorie, du moins le temps d’une première heure d’une banalité à faire bâiller des accrocs à la caféine bourrés aux amphétamines. Malgré un Lomax (Colin Firth, excellent) plutôt intéressant, situé quelque part entre le professeur en retraite et l’autiste assumé (sa connaissance des horaires de trains confine à l’obsession névrotique), et une jolie scène de rencontre avec Patti (Nicole Kidman, dans un rôle assez sobre, une fois n’est pas coutume) dans un… wagon de train, dès lors que le premier flashback brise la continuité narrative pour nous projeter quarante ans en arrière, en pleine guerre du Pacifique, au gré des remontées traumatiques de Lomax façon "Rambo", le film entérine son embourgeoisement. L’authenticité de la reconstitution prend le pas sur l’inventivité. Et toutes les scènes attendues de pareille production défilent les unes après les autres, comme dans une mauvaise bande-annonce.
Il faut attendre la seconde partie, lorsque Lomax apprend que son tortionnaire japonais est toujours vivant et s’occupe d’un mémorial en Birmanie (la bande-annonce en révèle autant, sinon plus, que ce texte, promis), pour que le film reprenne sa route, si l’on ose dire, sur de bons rails. Lomax se laissera-t-il corrompre par une pulsion atavique de vengeance ? Ou bien trouvera-t-il le courage, encore plus difficilement, de pardonner à celui qui, en temps de guerre, lui causa tant de maux ? La mise en scène gentillette de Jonathan Teplitzky s’efface alors totalement derrière ses personnages pour leur laisser toute la place qu’ils méritent, au centre de notre attention, tandis que les retours en arrière parasitent de moins en moins le présent. Les plus belles émotions naissent souvent de la plus simple cause, et c’est toute l’amplitude du jeu des comédiens – Colin Firth surtout, mais aussi Jeremy Irvine, qui joue un Lomax jeune – qui peut s’exprimer. Alors, pour peu que l’on oublie une première heure conformiste et plutôt dénuée d’intérêt cinématographique – ce qui ne devrait pas être trop compliqué –, l’on commence à suivre avec plaisir le tracé des destins de ces deux humains qui, confrontés chacun aux horreurs de la guerre, parviennent, un demi-siècle plus tard, à transcender leurs erreurs. Une belle leçon, qui aura mis autant de temps à arriver qu’un train de la SNCF, mais qui en valait la peine.
CONTRE : Niveau -1 - Une histoire bouleversante tuée par une mise en scène cabotinant
Ça commence comme un conte de fée. Un homme et une femme se rencontrent dans un train. C’est le coup de foudre ; ils s’aiment, se marient et rien ne semble pouvoir leur arriver. Mais ce bonheur va rapidement être mis à mal par les terribles cauchemars qui hantent le beau prince, et la réalité vient alors estomper ce doux songe. Car l’homme est un ancien soldat, prisonnier de guerre torturé par les forces japonaises pour avoir fabriqué une radio, toujours traumatisé par la violence de sa détention passée. Se basant sur un roman autobiographique, le film, par le regard du lieutenant Lomax, nous raconte la construction du chemin de fer, « la voie ferrée de la mort », reliant la Birmanie et la Thaïlande durant la Seconde guerre mondiale.
Déjà montré au cinéma à plusieurs reprises, dont bien évidemment dans le sublime "Le Pont de la rivière Kwaï" de David Lean, cet épisode historique a toujours intéressé le cinéma. Et il est vrai que le destin tragique de ces hommes, rendus en esclaves pour permettre au Japon d’atteindre son rêve de grande Asie Orientale, bénéficie d’une puissance évocatrice et émotionnelle extrêmement prégnante. Néanmoins, là où David Lean avait su magnifier son propos en s’éloignant des clichés pour capturer la folie meurtrière qui pouvait s’emparer de l’homme, Jonathan Teplitzky ne dispose pas des mêmes qualités de mise-en-scène. Grossissant lourdement le trait, le réalisateur se fourvoie dans une surenchère d’effets dramatiques, cherchant à titiller en vain nos glandes lacrymales.
Beaucoup trop démonstrative, l’architecture du métrage constitue son principal défaut. Alors que le drame intérieur du protagoniste principal n’aurait été que renforcé en laissant mystérieuses certaines parties de l’histoire, le choix de recourir à des flashbacks atténue considérablement la force émotionnelle du film. Surtout, en s’attardant vulgairement à essayer de nous montrer son expérience sur le front, le film omet complètement de s’intéresser à la psychologie du personnage, aux tourments de cet homme dont les trains ont toujours occupé une place particulière.
Les choix esthétiques hasardeux, couplés à des problèmes d’écriture déplorables, finissent par éloigner les spectateurs de l’intrigue, malgré la prestation plus qu’honorable des différents comédiens. En voulant absolument faire pleurer dans les chaumières, le cinéaste australien sombre dans un pathos désolant, d’autant plus que le destin hors-norme de cet homme se suffisait largement pour toucher le cœur du public. Et même si le dénouement est poignant, il est bien difficile de ressentir quelque chose sous cette couche de minauderies trop appuyées.
10-06-2014
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