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Il était une fois une famille italienne dans un coin reculé de l’Italie, une famille riche de son rapport privilégié à la nature, assumant son choix de rester en marge de la société et de la technologie. Productrice de miel, la petite communauté, dominée par la personnalité de Gelsomina, entourée de ses parents et de ses trois jeunes sœurs, va se voir chamboulée par l’arrivée d’un jeune délinquant en programme de réinsertion…
Il a fallu autant de patience pour construire ce récit naturaliste et poétique qu’il n’en faut aux apiculteurs pour laisser le produit de leur métier se façonner au gré d’une temporalité qui n’est pas celle de l’homme, mais celle, incontrôlable, de la nature. La culture du miel est une culture de la lenteur et de la sérénité. La jeune réalisatrice italienne Alice Rohrwacher, qui signe là son deuxième long-métrage après « Corpo Celeste », est parvenue à trouver le rythme idéal pour raconter cette lutte multiple, qui prend corps dans l’intimité de la cellule familiale. Lutte de la famille contre les éléments naturels, qui à eux seuls font et défont l’économie autonomiste du groupe. Lutte de la mère et des filles contre un père caractériel. Et, surtout, lutte de l’adolescente Gelsomina contre l’autorité du père, elle qui incarne le véritable chef de cette rustique famille, plus mature que ses deux parents et plus responsable que ses très jeunes sœurs.
Gelsomina n’est pas un personnage magique à proprement parler, mais un personnage propice à entrer en contact avec la magie – à l’instar de l’Alice de Lewis Carroll. Et c’est toute la différence. Juchée sur un rocher, elle manipule les abeilles, les laisse errer sur son visage, les fait sortir de sa bouche telle une illusionniste. Elle est la reine des abeilles et, en cela, fait son miel des interstices fantaisistes qui fissurent parfois la trame de la réalité – leur réalité familiale. Lorsque la possibilité se présente de participer à une émission de pseudo-télé-réalité dont les producteurs locaux seront les héros, c’est Gelsomina qui convainc ses parents de s’y inscrire, malgré leurs réticences à laisser pénétrer dans leur espace intime ce bras armé de la nuisance médiatique qu’est la télévision. De cette façon, la jeune fille glisse ses doigts dans l’un de ces interstices, pour l’ouvrir grand et faire vaciller, pour un temps, le réel, au profit de la magie dissimulée dans l’ombre. Justement : la grande prêtresse de l’émission, incarnée par Monica Bellucci (icône non moins magique, et tout à fait irréelle), se rapproche de la fée ou de la magicienne, et ensorcelle littéralement les participants de cette improbable messe.
Magie et poésie s’entremêlent dans cette œuvre délicate qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne se donne pas aisément au spectateur. La réalisatrice déroule son récit en brouillant les pistes génériques, ne restant pas réellement dans la fiction ni n’allant tout à fait vers le documentaire, passant d’une langue à l’autre pour mieux gommer les particularismes régionaux de son propos (et, de fait, il est difficile de situer le film dans l’espace comme dans le temps). Cinéma vertueux, mais austère, « Les Merveilles » creuse son sillon loin des mises en scène tapageuses et pompières de ce que l’Italie a pu produire de visible ces dernières années, et s’érige en opposition avec les cinémas de Matteo Garrone ou de Paolo Sorrentino, pour ne citer que ces deux fidèles représentant de la péninsule au festival de Cannes. Libre à chacun de monter dans le train lancé à grande lenteur par Alice Rohrwacher, de chercher à saisir ses vérités du cinéma sous la patine rustique et minimaliste. « Les Merveilles » émerveilleront, ou pas. Elles produiront, chez le spectateur, une réflexion sur le réel, le terroir, l’art du récit, la construction de la personnalité d’une adolescente, etc. – ou pas. C’est aussi cela, la magie du cinéma : diviser, au risque de s’aliéner une partie du public, pour mieux réunir ensuite autour d’une image, d’une idée, ou juste de l’expression d’une belle émotion.
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