Léana, une fille d’une dizaine d’années, a invité quelques amis pour son anniversaire. Malheureusement, les trois garçons préfèrent continuer leur partie de jeu vidéo médiéval plutôt que jouer avec elle et ses deux copines. En exprimant leur déception, les filles font quelques réflexions sur la distinction entre hommes et femmes durant le Moyen Âge. Le grand-père de Léana surprend leur discussion et les contredit : les femmes du Moyen Âge avaient une bien plus grande importance qu’on ne le croit. Il leur propose alors de leur raconter certains exemples historiques...
En 1980, l’historienne Régine Pernoud sortait un ouvrage intitulé "La Femme au temps des cathédrales", qui réhabilitait le rôle des femmes dans l’histoire médiévale. Ce livre a servi de point de départ au réalisateur, et c’est l’un des trois ouvrages d’histoire cités comme références dans le générique de fin. L’intention de ce film documenté (et non documentaire) est donc sur la même ligne que le livre de Pernoud : revaloriser l’importance historique du sexe dit faible.
Dès le début, Hubert Viel met en scène les stéréotypes en scindant les personnages en deux camps : trois garçons qui jouent à un jeu vidéo (médiéval) et trois filles reléguées à leur rang de filles, dans tout ce que ça sous-entend de clichés largement adoptés par la société (les jeux vidéos, ce n’est pas pour les filles, qui ne s’intéressent qu’à des choses superficielles et qui ne sont là que pour embêter les garçons, etc.). Mais alors que les premiers s’abrutissent devant leur univers de testostérone pixellisée, les trois filles vont bénéficier d’une initiation surprenante de la part du grand-père de l’une d’elles (Michael Lonsdale, idéal en conteur).
Viel choisit alors de faire jouer par les six enfants (dont Malonn Lévana, découverte dans le rôle de la petite sœur dans "Tomboy") tous les rôles des différentes histoires médiévales que conte le vieil homme, parmi lesquels certains personnages historiques très célèbres (comme Jeanne d’Arc, Clovis ou, hors période médiévale, Jésus), mais aussi d’autres plus méconnus (comme Hildegarde de Bingen ou Cyrille d’Alexandrie) et quelques personnages inventés (Euphrosyne notamment). Ce parti pris original – cohérent avec l’histoire puisque les fillettes préféraient justement jouer « en vrai » au Moyen Âge plutôt que sur un écran – s’avère pertinent et efficace à plus d’un titre. Tout d’abord, il faut saluer la fraîcheur de ce dispositif : l’innocence des enfants apporte un charme particulier à ces reconstitutions décalées, et notamment un humour inattendu pour un film qui se donne pour mission de rétablir une certaine parité dans une historiographie masculino-centrée – un tel programme aurait pu donner lieu à un film élitiste, austère, fastidieux, snob et/ou moralisateur !
Ensuite, le réalisateur fait preuve d’une malicieuse autodérision à propos du manque flagrant de moyens de son film, assumant les anachronismes et la volonté de ne pas tomber dans la reconstitution grandiose : « La cathédrale de Reims, ce n’est plus ce que c’était », fait-il par exemple dire à l’une de ses jeunes actrices. Ainsi, Viel affirme haut et fort que le fond importe beaucoup plus que la forme lorsqu’on souhaite rétablir une certaine vérité historique, et il établit, à travers la qualité de l’image (qui rappelle un peu le choix esthétique d’Eric Rohmer pour "L’Anglaise et le Duc") et la modernité partielle des dialogues, un lien symbolique entre passé et présent, le premier étant forcément responsable du second.
Surtout, le choix d’acteurs si jeunes permet de proposer une hypothétique analyse historique plutôt originale : en fait, toutes les inégalités et tous les abus de pouvoir ne seraient que des preuves d’immaturité des humains ! En 2003, sur le titre "La Peur" de l’album "Tu vas pas mourir de rire", le groupe Mickey 3D chantait : « On dit qu’les enfants sont méchants, moi j’dis qu’ils ont encore d’la marge ». Le film de Viel pousse la réflexion plus loin : si les adultes sont méchants, c’est peut-être parce qu’ils n’ont jamais su grandir ! La plupart des personnages masculins (Clovis, Charles VII, Cyrille, etc.) apparaissent, en effet, comme des enfants capricieux, dont l’égoïsme est la cause de souffrances pour d’autres et notamment pour les femmes. Les rôles féminins étant également tenus par des enfants, ils sont eux aussi affublés d’une certaine immaturité. Les femmes sont donc parfois désignées comme complices de la construction inégalitaire de la société, par exemple parce qu’elles ont accepté leur rôle de femmes entretenues et superficielles (voir l’exemple d’Agnès Sorel, la favorite de Charles VII, dépeinte comme une starlette de télé-réalité obsédée par l’apparence et le succès) ou parce qu’elles ont pu céder aux mêmes sirènes du pouvoir que les hommes (voir l’exemple de l’amour courtois et l’ascendant psychologique dont elles pouvaient abuser envers leurs prétendants).
L’ensemble n’est pas exempt de défauts. Le film peut paraître trop pédagogique sur certains aspects, voire simpliste sur certaines approches, notamment quand il semble dresser un tableau un peu trop favorable du Moyen Âge et donner ainsi l’impression que c’était une période parfaite pour les femmes. Le discours peut aussi paraître ambigu sur certains points car les hommes et les femmes sont, malgré tout, représentés selon certains stéréotypes (même si le film se moque souvent de ceux-là) et certains personnages féminins, présentés comme ayant eu un rôle moteur dans l’histoire, paraissent plutôt subir la situation (par exemple Euphrosyne).
Le dernier chapitre est plus déroutant, car le film s’éparpille dans une critique du capitalisme et du mépris de la société contemporaine pour le passé, tout en esquissant un portrait tardif du grand-père. Certes, on peut faire le lien avec le thème principal du film car les hommes sont désignés comme coupables de cette évolution – alors que les femmes semblent décrites comme plus raisonnables, ce qui, en un sens, serait une autre forme de stéréotype – et on peut aussi penser que cette fin regrette que les femmes n’aient pas su/pu saisir l’occasion de s’émanciper définitivement lorsque les circonstances pouvaient être favorables à une plus grande égalité. Mais le propos est plus flou dans ce final plus décousu voire un peu naïf (les traditions seraient-elles plus progressistes que la modernité ?). Le retour à la période contemporaine se fait donc dans la douleur. Mais peut-être est-ce aussi précisément cela le message : le Moyen Âge n’était pas si « moyen » que ça, alors que notre époque est médiocre sur bien des points. A méditer, comme le reste de ce film étonnant, qui mériterait plusieurs visionnages.
>>> En partenariat avec l'association EgaliGone
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