affiche film

© Metropolitan Filmexport

LES ÂMES VAGABONDES

(The Host)


un film de Andrew Niccol

avec : Saoirse Ronan, Jake Abel, Max Irons, Frances Fisher, Diane Kruger, William Hurt…

La Terre est en paix – plus de guerres, de famines, de souffrance. Mais elle n’appartient plus aux humains, chassés de leurs corps par des « âmes », entités extraterrestres qui voyagent de monde en monde pour s’emparer des organismes et instaurer une ère de sérénité et de prospérité. Seuls quelques humains résistent à l’envahisseur, cachés au fin fond du désert américain. Une Traqueuse déterminée à les exterminer a mis la main sur l’une d’entre eux, Melanie Stryder. Mais lorsqu’elle lui insère une « âme », l’esprit de Melanie parvient à s’accrocher et à convaincre son hôte de ne pas dénoncer les siens…


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Photo film

Il ne suffit pas d’être pour avoir E.T.

À la sortie de la projection, les yeux sont bouffis et les paupières alourdies par le chagrin. Des mines défaites accueillent la lumière du jour avec circonspection, les corps semblent désorientés. Que s’est-il passé dans la salle ? Une émotion trop vive s’est-elle emparée des spectateurs, augmentant leur production lacrymale jusqu’à transformer leurs joues en chutes du Niagara ? Non, pire que cela : ces gens ont assisté à l’incarcération artistique d’un réalisateur qu’ils estiment, Andrew Niccol. Le metteur en scène de "Bienvenue à Gattaca" s’est retrouvé derrière les barreaux. Sa prison s’appelle "Les Âmes vagabondes" et son geôlier porte le nom de Stephenie Meyer – oui, vous l’avez reconnue, l’auteure à succès de la saga qui pourrit nos écrans de cinéma depuis des années, "Twilight" et ses vampires amoureusement blafards. Reste à comprendre ce que Niccol a bien pu faire pour mériter cette terrible punition consistant à mettre en images le dernier roman de la vampirette mormone, et se retrouver à diriger l’un des films de science-fiction les plus absurdement niais de ces dernières années.

D’une part, la participation d’Andrew Niccol à ce projet n’est pas étonnante. On sait à quel point le cinéaste néo-zélandais est friand d’anticipation et des codes de la science-fiction, pour peu qu’ils restent sobres et se contentent de donner un cadre à une histoire et des thématiques d’ordre universel. Son dernier opus en date, "Time Out", vigoureusement défendu ici-même, lui avait permis de revenir à ses amours de jeunesse ("Gattaca") tout en radicalisant son propos d’origine à travers le portrait d’une société soumise au temps comme métaphore de l’argent. D’autre part, le principe liminaire du roman de Stephenie Meyer pouvait légitimement titiller son intérêt en ce qu’il met en scène un personnage de marginal confronté à une institution et un environnement absurdes, agressifs et potentiellement tyranniques, où les plus faibles succombent face aux plus forts (trajectoire que l’on retrouve dans son script de "The Truman Show", mis en scène par Peter Weir, autant que dans ses réalisations déjà citées). Une héroïne prisonnière de son propre corps, squatté en partie par un extraterrestre, et fuyant une uniformisation galopante du monde – voilà qui semblait a priori excitant. Simplement, tout le monde avait oublié la présence de la mère Twilight dans l’équation, avec ses histoires d’amour à deux sous, ses grotesques dilemmes adolescents et la négation absolue de toute narratologie cohérente.

Le résultat est un corps – le film – où deux âmes se battent en duel : l’âme extraterrestre, indésirable mais pilote principal du corps-marionnette, celle de Stephenie Meyer, nouvelle prêtresse d’une jeunesse en déshérence qui trouve dans ses récits une échappatoire feuilletonnesque à ses soucis du quotidien. Et l’âme humaine, adulte, raisonnable d’Andrew Niccol, reléguée dans le placard de l’esprit, juste derrière les balais et les serpillères, qui se démène comme un beau diable pour ne pas perdre la main sur son film – en vain. La seconde est forcée de s’effacer progressivement devant la première, plus gourmande et plus volontaire – sans doute parce qu’il y a des millions de lecteurs du roman qui sont autant de spectateurs/portefeuilles en puissance, et que les producteurs, eux, ont privilégié leur âme préférée.

Cette ambivalence se retrouve à tous les niveaux du film. Deux âmes occupent un même corps, celui de Melanie Stryder (Saoirse Ronan) ; deux voix s’entrechoquent, celle de l’hôte principal et celle de l’esprit en retrait ; deux garçons se partagent ses faveurs, ce qui ne dépaysera pas les amateurs de "Twilight" habitués aux conflits de pacotille entre le vampire « j’ai la tête de Pattinson en plus pâle » et le loup-garou « j’ai toujours une occasion pour me mettre torse nu ». Au niveau de l’emballage, on constate de nouveau cette exacte dichotomie : d’un côté le travail visuel plutôt soigné, notamment dans les décors et l’environnement futuriste, preuve que Niccol ne s’est pas totalement éteint dans le processus. De l’autre, une absence complète d’enjeux narratifs, des scènes dénuées de suspense jusqu’au risible (la séquence qui voit l’héroïne se rendre dans un centre de soins pour récupérer des médicaments ignore bizarrement de mettre les protagonistes dans une quelconque situation de danger), des dialogues d’une insupportable niaiserie (il faut entendre la voix de Melanie enjoindre son hôte à ne pas regarder trop fixement un garçon qui n’est pas son amoureux), et une méchante tellement vilaine qu’elle en a oublié pourquoi elle l’était, méchante. Les rôles ont donc clairement été distribués, ce que confirme Stephenie Meyer elle-même en déclarant que « Andrew s’est concentré sur l’univers physique du film, auquel il a apporté des éléments que je n’avais pas envisagés ». Encore heureux qu’un domaine, au moins, ait échappé à ses griffes.

Au-delà du sort réservé à notre Niccol bien aimé, c’est aussi l’immaturité ubuesque du film qui inquiète. C’est qu’on ne voudrait pas que, désormais, les films d’anticipation ressemblent à cette bouillie pseudo-métaphysico-émotionnelle où les extraterrestres, comme par hasard, n’ont jamais habité un monde aussi exceptionnel que la Terre ni rencontré d’entités aussi profondément attirantes que les humains, où les envahisseurs se distinguent par leur rejet de toute violence envers autrui (quand la Traqueuse tire au revolver sur des humains en fuite, elle se fait sermonner par ses acolytes), où la cellule des rebelles est constituée uniquement de garçons beaux comme des gravures de mode, où les humains s’excusent d’avoir accidentellement tué des « âmes » parce que leur nouvelle amie pleure à chaudes larmes, alors même que ces bestioles ont asservi 99,9% de la population terrienne… Tout ça pour nous servir une psychologie en sucre, édifiée du point de vue de l’hôte-personnage principal, appelée Vagabonde (« Wanderer » en V.O.), qui pousse celle-ci à projeter chez les humains la famille qu’elle n’a jamais eue – une sorte d’E.T. qui voudrait avoir été. Ce n’est plus un film d’anticipation mais d’immaturation – pour Meyer, mormone de croissance – et de régression – pour le pauvre Niccol qu’on espère retrouver rapidement en meilleure forme.

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