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LE LIVRE D'ELI

(The book of Eli)


un film de Albert et Allen Hughes

avec : Denzel Washington, Gary Oldman, Mila Kunis…

Dans un futur proche, l’Amérique n’est plus qu’une terre désolée parsemée de villes en ruines et de routes abandonnées, refuges des bandes criminelles. Depuis des années, Eli voyage seul jusqu’à une destination imprécise. En Californie, il s’arrête dans une ville dirigée par le redoutable Carnegie, qui va dès lors lancer ses sbires aux trousses du voyageur solitaire, afin de mettre la main sur un mystérieux ouvrage...


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Photo film

Sur la route toute la journée sainte

Quelques mois seulement après l’adaptation du roman épuré de Cormack McCarthy par John Hillcoat, « La Route », les frères Hughes nous proposent leur propre vision du futur apocalyptique de l’Amérique. Un monde assez proche, esthétiquement, de celui où évoluaient « l’homme » et « l’enfant » dénués de noms de « La route » : des terres ravagées où, parmi les rares survivants, pullulent les brigands et les cannibales, s’assurant dans la violence un présent éphémère. Et surtout, ces routes laissées à l’abandon que les protagonistes doivent suivre jusqu’à un improbable objectif. Parce que, ruinées ou pas, les routes restent le seul vestige matériel du passé, de ce monde qui fut. Routes sur lesquelles les personnages véhiculent un espoir, métaphorique dans le cas du père et du fils (ce fameux « feu » qu’ils portent en eux), concret pour le héros solitaire des frères Hughes : un livre mystérieux.

Affublé du prénom prophétique d’Eli, le marcheur en question, qui a les traits burinés et vieillis de Denzel Washington, ne cherche pas à rejoindre le Sud et son soleil salvateur mais l’Ouest et ses symboles mythologiques. Car « Le Livre d’Eli » (titre à multiples entrées, selon que l’on adopte un point de vue profane ou sacré) est bourré de symboles et de tropes – que les spectateurs frileux pourront trouver excessivement ostensibles. Au-delà du paradigme purement biblique, autour duquel se construit la trame du récit, tout entière incarnée dans le Livre que porte le protagoniste, les frères Hughes se livrent à une relecture plutôt jouissive des grands mythes américains de la Frontière.

En premier lieu celui de la conquête de l’Ouest, dont ils récupèrent, avec une sorte de plaisir enfantin, les codes westerniens. Au tiers de l’histoire, Eli met les pieds dans une bourgade mal fréquentée qui ressemble à s’y méprendre à celles des films de Ford ou de Walsh, gérée d’une main de maître par un vieil homme acariâtre (Carnegie, incarné par Gary Oldman). Lorsqu’il pénètre dans le bar de la cité, les conversations s’arrêtent et les têtes se tournent. Lorsqu’il prend un verre au comptoir – d’eau, cette denrée devenue si rare – les méchants viennent l’enquiquiner. Lorsqu’il tente de quitter ce lieu décadent, Eli est pris dans une impressionnante fusillade de rue.

En outre, au cœur de cet univers défraichi et désespéré, c’est bien de (re)construire l’humanité qu’il s’agit. Une fois n’est pas coutume, le catastrophisme cinématographique adopte la thèse de la régression sociale : après l’apocalypse, ici à comprendre dans son sens le plus littéral de « révélation » (c’est une lumière vive qui a inondé le monde), l’Homme a descendu plusieurs barreaux de l’échelle du progrès pour en revenir au temps de la domestication de la nature. S’il possède toujours voitures, maisons et armes à feu, son environnement s’est pourtant radicalisé, l’obligeant à réactiver ses instincts profonds.

Le chemin résolu vers l’Ouest d’Eli signale ce besoin qu’à l’humanité de perpétuellement rejouer les mêmes enjeux historiques, spécifiquement, ici, ceux de l’évolution sociétale : s’il existe encore un passage allant de l’Est à l’Ouest, si l’on peut reproduire le trajet des anciens cowboys (truands et cannibales jouant ici le rôle des autochtones défendant leur territoire), c’est que l’Homme peut tout aussi bien rejoindre l’ère du progrès. Reste à savoir si, face aux dérives de la technologie, il restera toujours aveugle comme ces damnés (les survivants portent des lunettes de soleil pour se protéger de la vive lumière) ou s’il « verra » comme « voit » Eli.

L’échelle herméneutique se déploie donc ici de tout son long, mais reste une interrogation : faut-il en tirer un sens profond – œcuménique, théologique, mythologique – en regard de l’Amérique actuelle, auquel cas l’on pourra se demander si le prosélytisme du film ne joue pas en sa défaveur, ou les réalisateurs ne cherchent-ils qu’à flatter l’égo de l’analyste forcené, désireux d’extraire de toute image, de tout dialogue un symbole artificiel ? Le débat est ouvert, via un double questionnement parfaitement illustré par l’un des plans terminaux du film, qui voit le livre mystérieux rejoindre une étagère déjà comble. Tout comme ce dernier, on considérera, à l’envi, que « Le Livre d’Eli » trouve sa place précisément où il manquait, ou qu’au contraire il ne fait qu’alourdir une bibliothèque déjà trop pleine de ses semblables.


2ème avis – La passion d'Eli(vre)


Après ce triple jeu de mots parlons de la claque cinématographique que viennent nous infliger les frères Hughes (« Menace 2 Society » et « From Hell »). Au travers de cette histoire de croisade biblique et guerrière (pléonasme ?) d’un homme guidé par sa foi et tentant de protéger la dernière bible sur terre, les 2 frères livrent un bon gros film post-apocalyptique (qu’ils appellent un western post-nuke) à faire pâlir Mad Max. C’est bien simple, Mad Max à côté d’Eli, prophète du futur, c’est un enfant de chœur !

Dans une ambiance qui rappelle les images les plus marquantes du genre (« Mad Max 2 » en 1er, « The Road », mais également le manga « Ken le survivant »…), Eli évolue, tel l’homme sans nom, à travers les immensités désertiques de l’ouest. Si les deux frères parlent de leur film comme d’un western, c’est qu’ils en respectent également les codes. Un homme seul, des bandits pillant les voyageurs, une ville isolée en pleine « croissance », un saloon, un « duel » en pleine rue… tout est là ! Le bad guy du film (Gary Oldman), voulant s’emparer de l’artefact sacré, rappelle le shérif pourri interprété par Gene Hackman dans « Unforgiven » / « Impitoyable » d’Eastwood.

Oui, le post-apo est à la base le parfait parallèle entre la régression à l’ « âge du colt » et l’utilisation de machines modernes, mais jamais ce lien n’avait été aussi important et évident (depuis « Mad Max 2 »). Visuellement impressionnant, notamment au niveau de la photo (élément primordial dans ce genre de film) exprimant constamment ce malaise venant du ciel, « Le livre d’Eli » est une agréable surprise dans la mise en scène des séquences d’action. Dès la 1ère scène où Eli est attaqué par une horde de pillards, toute la violence de ce monde ressort parfaitement en un seul plan. Ici pas de plans rapides à la Michael Bay, non, ici c’est une action brutale, épurée et ultra efficace… tout comme ce monde impitoyable.

Les deux frères auraient pu en rester là et nous livrer un actioner crépusculaire post-apo dans lequel Denzel Whasington se fraye un chemin à coups de shotgun et de machette, mais non. Le film est truffé de messages sur la foi et la religion (positifs, comme négatifs). L'objet de toutes les convoitises est une bible et tout le monde est prêt à tuer pour le récupérer... comme pour le protéger, d'où le parallèle sur les limites parfois morales de la religion et l'aveuglement qui peut en résulter (même si certains raccourcis un peu trop évidents et maladroits pourront en rebuter certains). Eli, au travers de son chemin de croix, croisera une multitude de seconds couteaux : Carnegie (Gary Oldman) accompagné de son centurion (Ray Stevenson... définitivement le héros d'action du moment), la délicieuse Mila Kunis en apôtre (qui en convertirait plus d'un) et des caméos toujours agréables (mais obligatoires ?) : Michael Gambon, Malcom McDowell et surtout Tom Waits.

Que la lumière fut !

François Rey

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