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Le parcours héroïque de deux moines qui risquent leur vie pour amener 17 enfants pauvres de la région du Zanskar, située au cœur des montagnes du Cachemire indien, jusqu’aux écoles tibétaines par-delà des cols de plus de 5 000 mètres d’altitude…
« La Traversée du Zanskar » est un documentaire à la fois effrayant et fascinant, de ceux qui vous tirent des sourires après les larmes. Caméra sur l’épaule, l’éclectique Frederick Marx, qui a travaillé successivement comme critique de cinéma, distributeur, exploitant, producteur et réalisateur, a décidé un beau jour de suivre le moine Guéshé Yonten dans son épopée pour conduire un groupe d’enfants de 4 à 12 ans à travers les montagnes himalayennes. Son objectif ? Les inscrire dans des écoles tibétaines et leur promettre ainsi un avenir meilleur, avec malgré tout un lourd tribut à payer : l’abandon de leur famille pour les dix ou quinze prochaines années, le voyage étant trop risqué et coûteux pour que les parents puissent espérer revoir leurs bambins avant le terme des études. Marx et son équipe ont sauté sur l’occasion pour participer à l’aventure, loin d’imaginer les difficultés qui les attendaient. Ils ont vécu avec eux ce trajet des extrêmes, vivant leurs joies, leurs doutes et leurs peurs.
A la vision du résultat, le sentiment qui affleure est nécessairement ambigu. D’une part, parce que le réalisateur ne peut éviter un peu de pathos : il doit filmer les visages de ces mères, pères, grands-parents, frères et sœurs qui voient partir un membre de la cellule familiale, avec un mélange d’incommensurable joie et d’irrépressible désespoir. Même les regards les plus soutenus, ceux d’un père solide, d’un petit garçon très fier, échappent un instant à l’emprise de la caméra pour sangloter en arrière-plan. Marx fait certes preuve d’une grande sobriété, mais le filmage de la douleur a toujours quelque chose de dérangeant, surtout lorsqu’elle est réelle, surtout lorsqu’on sait que certains de ces figurants d’un jour, notamment les plus âgés, ne reverront jamais leur petit-fils ou petite-fille. La sensation d’un intenable et impavide présent est alors difficile à soutenir.
D’autre part, parce que la dimension essentiellement didactique du film prend rapidement le dessus sur le visage humain de l’aventure. En assistant aux péripéties malchanceuses de ces petits et grands bonshommes qui parcourent, à pied, plateaux et vallées sous des températures descendant bien au-dessous de zéro, en voyant néanmoins le plaisir des enfants qui chantonnent et se chamaillent, à cheval durant le trajet ou dans les abris nocturnes, le spectateur occidental ne peut pas s’empêcher de s’interroger sur sa propre relation à la contrainte. Si les enfants de cette région, encaissée entre des chaînes immenses de montagnes, dénuée de terres cultivables, de forêts et même de pluie ou de pommes, prennent tant de risques pour se rendre à l’école – un trajet qui nous semble, à nous, tellement commun, futile et souvent détestable – il y a de quoi se morfondre sur l’état des nations riches et développées. Est-ce le miroir que Marx nous tend qui semble si gênant ?
Il ne faut pas être naïf : la prise de conscience est aussi l’objet d’un tel documentaire. La voix de Richard Gere nous le rappelle qui commente les images, lui que l’on sait très attentif à partager son admiration pour le monde bouddhiste ; la présence furtive du Dalaï Lama s’y ajoute, mêlant idéalement la parole occidentale et la vision orientale. Mais il me semble qu’à cause de cette attirance vers le didactisme, Frederick Marx perd en route le sujet fondamental de cette odyssée éducative : l’abnégation de quelques hommes qui bravent tous les dangers, non pas pour aller à l’école, mais pour que d’autres puissent profiter de cette chance qu’ils eurent eux-mêmes dans le passé. C’est tout de même la plus belle leçon d’altruisme possible, et c’était déjà bien suffisant pour remplir trois films.
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