© Bodega Films
Rosa est une femme à la vie bien réglée. Entre son mari Francisco, chauffeur de taxi, censé rentrer pour déjeuner ou dîner, mais qui accumule les retard, son métier de pédicure qui voit défiler des clientes plus jeunes, son ménage de fond en comble, elle semble voir passer les jours dans l'indifférence, alors que son problème auditif empire. Un soir, alors que son mari dort, elle fait sa valise et se dirige vers la gare routière...
Récompensé de la Concha de la meilleure réalisation au Festival de San Sebastian 2010, « La mujer sin piano » (la femme sans piano) semble avoir pour personnage principal Rosa, femme rangée, dont le calme apparent cache une vie intérieure foisonnante et des aspirations qu'un sourire soudain ou un geste trahissent. Pourtant Javier Rebollo et sa caméra s'intéressent en réalité d'avantage à tout ce qui gravite autour d'elle, l'excluant du champs, la reléguant en fond de plan, se focalisant sur les personnages secondaires... En bref, il se concentre sur ce qui vit.
En quelques scènes d'installation, Rebollo nous montre la frustration de cette femme, dont les ennuis auditifs ne pourraient être qu'un symptôme de son état d'apparent objet dans la vie des autres. De la scène à la poste avec la pièce d'identité oubliée, à la masturbation discrète à l'aide d'un appareil de massage contre la cellulite, Rosa semble dominée par les autres et trouver des palliatifs discrets au manque de contact avec le monde. Mais un beau soir semble souffler le vent de la révolte. Elle prend sa valise et s'en va, direction la gare routière.
Dans un Madrid nocturne, on assiste donc à une sorte de road-movie piétonnier, qui mènera Rosa de son appartement à la Estación Sur, en lui faisant croiser de bien étranges personnages. Ces rencontres, elle semble à la fois les observer, et jouir intérieurement du plaisir de leur différence. Sans forcément jalouser leurs vies, Rosa s'en nourrit, espérant certainement épicer la sienne. Qu'il s'agisse du clochard polonais, ou de la prostituée qui lui demande du feu, il s'agit principalement des exclus d'un système.
Car malgré son apparence d'errance personnelle, « La mujer sin piano » est aussi un film politique, faisant sortir son personnage d'un chez-soi anodin pour pénétrer dans un monde aseptisé où le contrôle de l'individu est aussi devenu loi (caméras, présence policière...), dénonçant discrètement la soumission des politiques d'une nation au pouvoir suprême de la mondialisation (Aznar aux cotés de Bush), ou soulignant les comportements consuméristes des gens (le discours du Polonais sur sa manie de réparer des objets que les gens jettent dans l'indifférence).
Carmen Machi, impériale, offre ici un jeu minimal, mais d'une efficacité redoutable. Dans son tailleur étriqué, elle semble étouffer, et l'on espère pour elle une libération soudaine. Cette aspiration est symbolisée par quelques envolées musicales aussi puissantes que déroutantes, signées Maurice Jaubert, ponctuant certains possibles moments de vie. Leur donnant une intensité presque surréaliste. Jusqu'à la scène finale, ouverte, on espérera avec elle, un changement, une nouvelle perspective, faite de liberté et de grandeur.
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