© Shellac Distribution
Quelque part en Asie du Sud-Est, au bord d’un fleuve tumultueux, un Européen dénommé Almayer s’accroche à ses rêves de fortune par amour pour sa fille, Nina...
Le générique de début nous prévient d’emblée : il est « librement » adapté du roman de Conrad. C’est le moins que l'on puisse dire. Le début du film déstabilise d'emblée, en nous introduisant dans une sorte de fête populaire où un chinois chante du Dean Martin (!) suivi de Nina, l’héroïne du film, interprétant l'ave verum de Mozart. Contraste, incongruité, impossibilité à déterminer le lei et l'époque. Il ne s'agit pas d'une reconstitution en costume. Le film nous introduit dans une sorte d'entre-deux, un espace-temps à part, qui lui est propre, où peu de choses se passent , hormis l'histoire de ce père, Almayer, fou d'amour pour sa fille, Nina, mais où il sera question aussi, pêle-mêle, en périphérie, du passage de l'enfance au monde adulte, de métissage et d’exclusion, en raison de la couleur de peau, le tout dans un récit entrecoupé de flash-back, et situé pour l'essentiel quelque part dans la jungle opaque et invincible du sud-est asiatique, sur la rive d'un grand fleuve tumultueux.
Pourtant, comme pour ne pas larguer d’entrée le spectateur ou le festivalier vénitien (puisque le film était en sélection en 2011 hors compétition), la réalisatrice a fait le choix de débuter son film par une sorte de clin d’œil-hommage à Venise et à sa baie. Comme une rime à la lagune toute proche, des plans de réverbères se reflétant dans l’eau viennent ponctuer le début du film. Un plan que le festivalier reconnaît comme familier. Pris par le rythme lent de la « narration », entre rêve et réalité, réminiscences et pensées angoissées, on se prend à se laisser bercer par les images.
Pour autant, il s’agit bien de cinéma. Certes, un cinéma minoritaire, très loin des schémas narratifs et des découpages du cinéma hollywoodien. La réalisatrice déploie en effet une science du cadre rigoureux pour évoquer plus qu’elle ne raconte le roman. D'un côté, elle filme des plans où les personnages se parlent sans bouger dans la verticale de l’autre. Ailleurs, un autre plan fixe voit avancer au loin, comme ensevelis dans les broussailles, des personnages qui avancent en se parlant. Déconnexion de l’image et du son, de l’action et de sa représentation.
Il est paraît difficile de recommander ce film. L’ennui rôde et guette à chaque plan. Et pourtant, c’est finalement sans déplaisir qu’on se laisse entraîner par le film, dans une sorte d’hypnose flottante, pour, sans vraiment s’en apercevoir, arriver à bon port aux rives des 2h07 que dure le métrage. Certes, on les a senti passer mais néanmoins sans les subir non plus, à défaut de les apprécier dans toute leur plénitude.
Il s’agit de Cinéma, n’en déplaise aux détracteurs. Peut-être pas le meilleur film de Chantal Akerman (« Sud », « D'Est »...) mais assurément un film, simple, frugal, ponctué de beaux plans suspendus, souvent allusifs. La cinéaste Chantal Akerman s'était déjà essayé à un tel exercice d'adaptation avec « La Captive », inspiré d'un tome de « la recherche du temps perdu » de Proust. Pour l'anecdote, on observera que ce roman constitue l'antépénultième (avant-avant dernier) tome de la Recherche. Or, si l'on en croit le dossier de presse, Chantal Akerman est partie du pénultième (avant-dernier) chapitre du (premier) roman de Conrad, qui l'a littéralement obsédé (« that chapter upset me deeply »).
Étonnant, non? Mais bon, il faut bien avouer qu'il est difficile de tout saisir…
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