© Gaumont Distribution
Au jour du 6 mai 2007, celui du second tour de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, à deux doigts d’entrer à l’Elysée, désespère d’avoir des nouvelles de Cécilia qui le fuit. Retour à 2002 : fraîchement réélu, Jacques Chirac refuse d’ouvrir les portes de Matignon à Sarkozy, mais lui propose de prendre le ministère de l’Intérieur, première marche menant au pouvoir…
Les cinéastes et les producteurs hexagonaux ne sont pas réputés pour leur courage, lorsqu’il s’agit de créer des fictions politiques. De là à affirmer que l’impertinence du petit écran peine à contaminer le grand, le pas est vite franchi, d’autant qu’en termes d’apparitions présidentielles, ce cinéma-là n’a jamais su nous offrir grand-chose. Xavier Durringer tente donc là une double expérience originale : réaliser une fiction basée sur des faits politiques avérés – l’ascension du pouvoir de Nicolas Sarkozy jusqu’à son entrée à l’Élysée – en conservant les noms des modèles, et surtout, sortir son film alors que son personnage principal est un président encore en exercice. Seul Oliver Stone l’a précédé sur ce chemin avec « W., l’improbable président », alors que George Bush était déjà en fin de parcours politique. Le fait que Sarkozy soit encore dans la course posait pour l’équipe quantité de problèmes.
D’abord, celui du scénario. « La Conquête » relate les cinq années qui séparent l’entrée de Sarkozy au gouvernement Raffarin en avril 2002 de sa victoire à la présidentielle le 6 mai 2007. Que raconter de ce parcours à la fois riche et concentré ? Comment choisir entre les faits avérés, les racontars et les rumeurs ? Le scénario de Patrick Rotman, réalisateur d’un documentaire sur Jacques Chirac en 2006, y apporte ses propres solutions en trouvant un délicat mélange entre vérités et invention. Les séquences de pure fiction alternent avec les passages véridiques, ceux-ci étant tirés de témoignages de journalistes (notamment les carnets de notes de Michael Darmon de France 2, qui passa plusieurs années à côté du ministre et futur président) et d’allégations diverses, non confirmées, mais particulièrement savoureuses.
Ensuite, le problème de l’angle d’attaque : Durringer fait tout sauf un film politique. Pas question de générer des polémiques qui, naturellement, auraient risqué de détourner l’attention du film pour la reporter sur les « affaires », qu’il s’agisse des listings de la banque Clearstream (un général Rondot et un Gergorin de pacotille apparaissent le temps de quelques plans aux côtés de Villepin) ou de l’immobilisme du second mandat chiraquien. Durringer concentre toute son énergie sur le captage du seul Nicolas, en laissant de côté tout ce qui constitue la politique de M. Sarkozy, sauf lorsque cela lui est nécessaire pour mieux souligner son caractère : on le voit par exemple prononcer un discours devant les ouvriers d’une usine, au cours duquel il est pris à parti par un syndicaliste véhément ; ou assurer ses nouvelles troupes policières de son soutien, arrivé au ministère de l’Intérieur, en leur promettant plus de répression et moins de proximité (Maïwenn en propose le contrechamp dans une séquence de débat entre collègues dans « Polisse »).
Durringer prend soin de ne pas sortir du cadre restreint d’un petit groupe d’hommes de droite, sans s’étendre sur les conflits idéologiques avec la gauche (même le débat Sarkozy / Royal de l’entre-deux-tours n’est pas représenté, mais singé par le candidat et ses sbires), « La Conquête » puise sa force de caractère dans le jeu de ses dialogues aiguisés, dans la mise en place d’une arène politicarde sans foi ni loi où les mots claquent comme des fouets et où priment les phrases saillantes. Dès lors que Chirac offre le fameux poste à son ancien poulain, la scène devient une joute orale impétueuse entre trois poissons coincés dans le même bocal : Chirac, de Villepin, Sarkozy. La truculence des dialogues et la trivialité des attaques forment dès lors une grande partie du plaisir éprouvé à la vision du film.
Ce sont d’ailleurs les bons mots de Patrick Rotman qui permettent d’adhérer pleinement à l’interprétation, voletant entre l’imitation et la caricature, tombant parfois dans le grotesque, restant le plus souvent perchée le long de ce fil délicat. La bande de comédiens, Denis Podalydès (Sarkozy), Florence Pernel (Cécilia) et Bernard Le Coq (Chirac) en tête, travaillent d’abord à trouver le ton juste avant d’essayer de ressembler absolument à leur modèle. On est proche, ici, du jeu de Josh Brolin dans la peau de George Bush Jr. chez Oliver Stone. A ceci près que le personnage de Sarkozy étant d’abord mis en relief par son rapport problématique aux médias (« Je veux être le ministre de l’actualité ! » lance-t-il en arrivant place Beauvau), l’objectif de Durringer vise, semble-t-il, à démontrer que le Sarkozy des médias, volontaire et trivial, est aussi le Nicolas de la vie intime. Voilà un homme politique qui ne se crée pas une image, mais qui est lui-même l’image qu’il renvoie. Le jeu plus emprunté de ses partenaires – on le voit particulièrement avec Bernadette Chirac ou Dominique de Villepin (Samuel Labarthe) – rappelle qu’autour de lui, le monde politique est surtout proche du plateau de tournage, où l’on est constamment en représentation face à un public.
Enfin, la question romanesque, traitée par Durringer et Rotman comme le fil rouge du récit. Oliver Stone avait trouvé, dans « Nixon », la solution la meilleure pour mettre en scène une portion de la vie d’un homme politique célèbre : dérouler le fil de son intimité à partir d’une scène clé, traumatique ou nodale, permettant de débloquer sa psyché. Le problème de Nixon, c’était le Watergate et les bandes manquantes. Celui de Sarkozy, c’est sa femme Cécilia, Pygmalion et psychothérapeute à la fois, rassurante compagne et indispensable défouloir de son ascension politique. Le film ne débute pas tant au matin du second tour de l’élection présidentielle que le jour où Nicolas, se préparant à la présidence, désespère d’avoir des nouvelles de Cécilia : c’est dans ce glissement que réside la clé du récit. La période couverte par l’intrigue recouvre en réalité les cinq années de déchéance du futur et éphémère couple présidentiel, période durant laquelle rien n’est épargné à la femme-courage. Le drame se noue autour de ses présences-absences, de ses allers et venues, de la potentialité de son retour une fois partie rejoindre son amant. Les romans sont pleins de ces femmes qui accompagnent leur mari jusqu’au bout et fuient la victoire acquise ; le monde politique aussi.
Outre cette gravité légère intrinsèque au couple-candidat, il faut surtout voir « La Conquête » comme une vaste farce du pouvoir, telle que le laissait entendre la discutable affiche (des pieds qui se balancent sur un tabouret absurdement élevé), parfaitement caricaturale. Durringer ne cache d’ailleurs pas l’influence de la commedia dell’arte, à laquelle il faut ajouter la quête constante de la punch line qui fait mal, aux dépens parfois de la cohérence narrative et du fond textuel. En somme, « La Conquête » ne fait pas beaucoup plus que reproduire visuellement un article d’un hebdo lambda ou de mettre bout à bout les extraits de reportages TV sur l’ambition politique, une sorte d’adaptation cynique du livre de Catherine Nay, Un pouvoir nommé désir écrit pendant la campagne présidentielle.
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