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Suite au naufrage des navires qui transportait toutes ses richesses, un marchand ruiné se retrouve contraint de s’exiler en pleine campagne avec ses six enfants. Lors d’une tempête de neige, il échoue par accident au cœur d’un royaume magique et, pour avoir tenté de voler une rose, se retrouver condamné à mort par une Bête terrifiante qui règne en ces lieux. Pour sauver son père et sa famille, Belle décide de prendre sa place et rejoint le château de la Bête. D’abord effrayée par son physique puis dégoûtée par son arrogance, Belle découvrira peu à peu le véritable secret de la Bête…
Si on le prend dans sa globalité, le cinéma de Christophe Gans ne peut certainement pas se réduire à un amas de références cinéphiles et de raffinement esthétique. C’est surtout un cinéphile respectueux et profondément attaché aux sensations, aux images et aux détails qui, de façon diffuse, s’impriment à l’encre indélébile sur l’esprit, un peu comme des fragments qu’il va s’agir de retranscrire en tant que pièces narratives et non en tant que clins d’œil avoués (Gans n’est pas Tarantino). De là viendront les réminiscences du cinéma de la Hammer au sein du premier segment de "Necronomicon", les sublimes éclats esthétiques et iconiques du cinéma de Hong-Kong dans "Crying Freeman", le mariage (plus ou moins) harmonieux des arts martiaux et du film à costumes avec "Le Pacte des loups", ou encore le climax final de "Silent Hill" dont le déchaînement de gore renvoyait presque à du hentaï tendance "Urotsukidoji". Pour un cinéaste comme Gans, cinéphile pur et dur avant d’avoir été journaliste pour la revue Starfix, le genre n’est pas une machine à satisfaire l’ego ou un outil sans autre valeur que commerciale : c’est un domaine qu’il s’agit de préserver, d’embellir et de faire partager.
L’idée d’une nouvelle version de "La Belle et la Bête" n’était pas plus insensée qu’une autre : pas moins de cinq adaptations différentes (dont celle du studio de l’oncle Walt) ont vu le jour depuis la sortie du chef-d’œuvre de Jean Cocteau en 1946, et le matériau de base restait d’autant plus propice à d’éternelles variations sur le sujet que les origines de ce « conte-type » restent encore aujourd’hui assez vagues (la version de 1757, rédigée par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, étant désormais considérée comme la base des adaptations qui ont suivi). Le contenu du conte, à savoir la rencontre d’une belle jeune femme et d’une bête terrifiante, dévoile d’emblée un double niveau de lecture : la distinction entre la laideur physique et la laideur morale, mais aussi la faculté à percevoir la pureté des sentiments derrière la plus ignoble des apparences. Fidèle à cette lecture, Christophe Gans s’empare donc du matériau d’origine pour épaissir son scénario, déjà très proche de celui écrit par Cocteau, d’une autre couche narrative, basée sur l’apprivoisement avant tout visuel, symbolique et purement esthétique d’un univers, ce qui était déjà le cas de ses précédents films.
Au-delà d’une intrigue qui respecte à la lettre chaque convention du conte féérique et du parcours initiatique, Gans concentre toutes ses forces sur la mise en scène d’un univers voulu crédible et propice à l’émerveillement le plus pur. Sa mise en scène privilégie l’immersion à travers une éblouissante partition musicale et une caméra toujours en mouvement, épousant à chaque instant les variations émotionnelles des deux personnages (la symbiose parfaite étant atteinte au moment de leur scène de danse commune), intégrant judicieusement des flashbacks parfaitement amenés par des astuces de mise en scène où se décline tout le champ lexical du « passage de l’autre côté du miroir » (très belle référence au cinéma de Cocteau) et dévoilant un spectre d’émotions si vastes que tous les publics, les petits comme les grands, n’auront pas à forcer pour renouer avec l’imaginaire. Ceux qui veulent s’éblouir les yeux auront largement de quoi picorer, et il en sera de même pour ceux qui aiment piocher une tonalité plus sombre et adulte au sein d’un univers de conte.
Les acteurs, loin d’être réduits à des pantins censés servir la soupe à des décors faramineux, restent d’une grande justesse dans leur partition, sans jamais se forcer ni surjouer (Léa Seydoux et Vincent Cassel révèlent ici un jeu simple et naturel). Tout juste pourra-t-on tiquer sur la caractérisation de la famille d’André Dussollier, en particulier les deux sœurs (jouées par Audrey Lamy et Sara Giraudeau), réduites à des incarnations de pipelettes caricaturales. Mais là encore, difficile d’y voir un réel défaut : tout comme la cruauté du méchant incarné par Eduardo Noriega, ce genre de détail manichéen s’inscrit pleinement dans le cadre des archétypes du conte pour enfants.
Parmi ses influences dans la conception de l’univers graphique du film, Gans citait volontiers le cinéma de Hayao Miyazaki. Comparaison risquée de la part d’un cinéaste français n’ayant tout de même pas le génie du cinéaste nippon, mais pas si anodine que cela, le travail de Miyazaki sur la création d’un univers féérique riche de légendes et de mythologies pouvant désormais être considéré comme un repère évident pour les cinéastes. À première vue, des références s’incrustent ici et là, par petites touches. Par exemple, le parcours du père, égaré dans une tempête de neige et arrivant brutalement au sein du domaine enchanté de la Bête, renvoie assez immanquablement à une scène-clé de "Mon voisin Totoro", où la petite fille s’éloignait de son habitat et tombait dans une caverne enchantée où elle découvrait Totoro. De la même manière, les petits « Tadums » qui hantent les recoins du château de la Bête évoquent sous de nombreux aspects les kamis bienveillants de "Princesse Mononoké". Et que dire de cette vision de l’animal sacré, dont le meurtre commis par le prince sera le catalyseur d’un déséquilibre entre la nature et l’homme, réduisant celui-ci à l’état de Bête ravagée par la souffrance ? La situation de la Bête et son possible retour à la normale grâce à Belle rejoignent le constat final du "Château ambulant" : peu importe l’âge ou l’apparence, c'est la vérité de nos sentiments qui révèle notre propre vérité intérieure.
Au bout de ces deux heures de projection, la réussite totale du projet fait l’effet d’une déflagration assez inattendue, surtout au sein d’une industrie française de moins en moins axée sur la volonté d’ouvrir l’imaginaire de son audience et de susciter ce désir d’aventure chez toutes les générations. En déployant une richesse visuelle inédite dans le cinéma français et en réussissant à marier le travail poétique de Cocteau à la féérie du dessin animé de Disney, Christophe Gans a totalement gagné son pari d’un grand film populaire, prompt à réconcilier tous les publics et toutes les sensibilités.
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