© Warner Bros. France
« Curieux destin que le mien… ». Ainsi commence l’étrange histoire de Benjamin Button, cet homme qui naquit à 80 ans et vécut sa vie à l’envers, sans pouvoir arrêter le cours du temps. Situé à la Nouvelle-Orléans, le film suit ses tribulations de 1918 à nos jours...
« L’étrange histoire de Benjamin Button » est une histoire certes étrange, mais pleine de bon sens – quand bien même son héros va dans la mauvaise direction du temps. Le court récit de F. Scott Fitzgerald dont le film est adapté trottait depuis le début des années quatre-vingt-dix dans la tête du jeune Fincher, à une époque où le cinéaste n’aurait pu réaliser le chef-d’œuvre qu’il nous offre aujourd’hui. Comme quoi, un bon film est affaire de bon moment : moment propice à la convergence, en un point et à un instant donnés, d’une multitude de talents épars. Ca tombe bien : la convergence des possibles, c’est précisément le sujet de ce très riche « Benjamin Button ».
Fincher continue dans ce « Button » une prise de risque artistique amorcée avec « Zodiac », son précédent film : moins de clinquant dans le découpage (exit les mouvements de caméra impossibles), moins d’esthétisme et de formalisme dans la mise en scène, moins d’expérimentations dans le montage ; et, au lieu de cela, une mise en danger constante dans la trame narrative, à travers une exploration des temporalités (« Button » se déroule sur quatre-vingts ans), ainsi que dans le choix du sujet et de sa représentation, celle-ci étant plus axée sur les protagonistes que sur l’univers qui les entoure. L’avantage, c’est que les personnages nous sont donnés entièrement et que l’ambition artistique de Fincher s’est transformée en probité. Brad Pitt, remarquable et pointilleux, et Cate Blanchett, véritable sirène de cette Odyssée à l’envers, participent de ce même projet qui tend, toujours, vers l’affect plutôt que vers l’intellect.
Le film procède d’une triple énonciation : celle du film lui-même, le spectacle auquel nous assistons ; celle du personnage de Daisy, au présent, vieille femme s’éteignant dans une chambre d’hôpital de la Nouvelle Orléans tandis qu’approche l’ouragan Katrina, et qui se remémore ses souvenirs de vie ; enfin, celle du journal de Benjamin Button, lu par la fille de Daisy, nous relatant l’histoire de ce curieux héros. Chaque discours a ses moments qui n’appartiennent qu’à lui, comme autant de bulles narratives prêtes à éclater ; et si l’essentiel de « Button » réside dans le récit de sa propre existence rédigé par le personnage, c’est dans la mémoire de Daisy et dans les libertés prises par le récit que surgit, soudainement et par bribes, le sens poétique de l’ensemble.
Il y a, d’abord, une très belle et très puissante idée : un homme, M. Gâteau (petit rôle interprété par Elias Koteas), fabrique soigneusement une horloge pour la gare de La Nouvelle Orléans, mais dont le mécanisme fonctionne à l’envers. Le récit de Benjamin Button n’a aucune relation directe avec cette magnifique métaphore sur la volonté d’empêcher l’écoulement fatal du temps, mais semble curieusement procéder d’elle : le personnage naît précisément la même année, peu de temps après – en 1918. Il y a ensuite, en milieu de film, une longue séquence à Paris, un peu « à la manière de » Jeunet, qui souligne toute la virtuosité du cinéaste et pose cette question nodale : un enchaînement de causes amène-t-il toujours au même effet ? Comme une phrase dont on s’amuserait à déplacer consciemment les mots afin d’en changer le sens général, cette séquence montre que des potentialités multiples existent et que c’est le hasard – ou le destin ? Fincher ne répond jamais à cela – qui les fait, à un instant donné, se réunir. Tout le film, de cette façon, n’est qu’un syntagme : c’est toujours la possibilité de l’événement (l’homme rajeunissant) qui est en jeu, et non pas tant sa compréhension scientifique. Fincher, autrefois chirurgien d’une société qu’il découpait au scalpel, serait-il désormais devenu son poète ?
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