© Le Pacte
Dawn et Peter coulent des jours heureux à l’ombre d’un immense figuier. Attenant leur petite maison sur pilotis, celui-ci est un véritable paradis pour leurs quatre enfants, qui passent des journées entières à jouer entre ses racines. Un jour, alors qu’il rentre avec sa petite fille, le père succombe à une crise cardiaque et vient mourir au pied de l’arbre...
Un souffle d’air qui fait scintiller les rayons du crépuscule entre les feuilles. Des racines gigantesques pointant les collines enluminées de soleil. Telle est l'ambiance sereine qui se dégage de ce jardin au cœur de l’été austral. Un décor paisible à l’image de l’atmosphère idyllique qui règne dans la famille O’Neill. Un couple qui s’aime, quatre enfants heureux ! Tout va bien, jusqu’au jour où tout bascule.
Miroir de l’arbre, le film flirte constamment avec le surnaturel tout en restant profondément réel. Les racines gigantesques qui déchirent le sol, les grenouilles qui sortent des toilettes sont, sous une apparence fantastique, la seule résultante d’une sécheresse grandissante. Puis il y a cette petite fille, meurtrie par la réalité cinglante de ne plus jamais voir son père. «On a le choix d’être heureuse ou triste. Moi j’ai choisi d’être heureuse» dit-elle à sa copine. Or son bonheur, c’est de croire l’âme du défunt réincarnée dans l’arbre. Et chaque jour elle se love dans ses branches comme pour se blottir dans ses bras.
De même que pour son précèdent film, «Depuis qu’Otar est parti», Julie Bertuccelli aborde le thème du deuil d’une bien belle manière, avec simplicité et affection. Comme la jeune fille qui, par tendresse, écrit régulièrement à sa grand mère pour lui faire croire que son fils Otar est toujours vivant, Dawn (Charlotte Gainsbourg) respecte l’arbre dévastateur, parce que son image protège sa fille de la triste réalité. La mort, pourtant pivot du film, ne plombe en aucun cas le récit qui se concentre alors sur les personnages importants : la petite Simone et son univers, puis la mère qui, malgré la douleur, pense au lendemain, à celui de sa famille tout d’abord, mais aussi au sien, en tant que femme.
En résulte deux jolis portraits, attachants et sincères, qui gravitent dans un univers particulier. Cette transition entre le bonheur d’avant et le bonheur d’après. Une période où le temps s’arrête alors qu’autour tout s’écroule. Julie Bertuccelli a su savamment doser ce paradoxe en distillant son propos dans une fiction poétique laissant la part belle aux sensations et à la lumière. Un film qui se contemple telle une belle journée d’été où le temps, changeant, assombrit le ciel d’un violent orage pour recouvrer ensuite un soleil radieux.
2ème avis - « Métem-psychose »
« L’Arbre » est d’abord le récit d’une obsession partagée à la fois par la cinéaste, qui cherchait avec un curieux acharnement à adapter « une histoire avec un arbre », jusqu’à tomber sur le roman de Judy Pascoe, « L’Arbre du père », et par la petite fille du film, obsédée par le figuier géant qui jouxte la maison et dans lequel elle s’est convaincue de la réincarnation de l’âme de son père. Il y a, dans ce partage, une forme de collusion spirituelle, une source d’inspiration équivalente qui, chez l’une, lui permet de déployer tout son talent artistique et, chez l’autre, offre une opportunité de continuer à vivre malgré les insurmontables douleurs de la perte brutale.
Cette perte nous prend à la gorge dès les premières minutes du film, inattendue, surprenante, inespérée au sens dramaturgique – dans la mesure où elle annonce l’urgence familiale d’une nécessaire mais difficile recomposition. La « mort du père » accomplit en même temps un acte psychanalytique essentiel qui, par son placement en incipit du récit, libère une bonne fois pour toutes de la tentation psychologisante à laquelle pourrait amener ce genre de métrage. Exit donc la domination masculine et les conflits qui en découlent. Tous les rapports d’éducation liés à la parentalité redémarrent de zéro et se posent non plus comme acquis, mais comme constantes de l’existence : la question est bien de savoir comment dépasser les angoisses de la mère pour parvenir à dire, enfin, à la petite fille que le figuier du jardin n’est pas, ne peut pas être l’âme de son père disparu ; et que, quand bien même le serait-il, il est grand temps, littéralement, de déraciner cette âme qui impose sa mémoire.
La présence mystérieuse de l’arbre et le pouvoir qui lui est conféré par la force de l’esprit fait tendre le film vers un paganisme poétique qui, de fait, pousse la barque filmique à voguer au large des considérations théologico-chrétiennes. Force de la métempsycose : quand l’âme s’échappe de sa prison terrestre, elle a encore le choix du corps dans lequel elle désire prospérer. L’homme devenant arbre convoque les anciennes croyances rituelles qui faisaient de la Terre un organisme vivant, dont les soubresauts seraient autant de respirations. Dans cet ordre d’idées, il ne faudrait donc pas voir le décès prématuré du père, excellent par ailleurs, comme une quelconque punition divine, mais plutôt comme une sorte de récompense cultuelle, car la position de l’arbre est encore la meilleure. Ainsi l’âme paternelle peut-elle veiller sur ses proches, étendre ses branches en signe d’affection, briser des murs et des plafonds en guise de mécontentement, développer ses racines comme pour mieux prendre possession du territoire. Voilà une belle définition de l’âme humaine, passant par l’institution d’un territoire donné, géographique aussi bien que familial. Cette maison, cette famille, font partie de l’espace de l’arbre – plus que l’inverse – et, par extension, du territoire du père. L’action de quitter le domaine s’avèrera ainsi salutaire dans la recomposition de la cellule familiale, du fait qu’elle permet l’oubli par l’éloignement.
Le problème, toutefois, n’est pas tant de croire ou non au désir onirique de Simone – formidable et touchante Morgana Davies – que d’accepter sa prolifération pour le bien-être du groupe. Rien d’étonnant à ce que même la mère – subtile Charlotte Gainsbourg – se lance à son tour dans des soliloques au figuier alors même qu’elle développe, en parallèle, une romance discrète avec un autre homme. C’est qu’il faut trouver des sources d’inspiration pour continuer à proliférer – à vivre. Et l’une de ces sources prend naissance dans le modèle existentiel fourni par l’arbre centenaire : après le déracinement, un autre figuier peut pousser, ailleurs, à un autre moment. Pareillement, après la perte de son réceptacle premier, l’amour peut naître et grandir pour un autre. Jolie leçon de vie. Et d’espoir, en conclusion : pour la mère, Dawn, dont le prénom signifie « aube », ne plus craindre de voir un nouveau jour se lever.
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