© The Walt Disney Company France
Vétéran de la Guerre de Sécession, John Carter refuse de prendre part à un nouveau conflit dans lequel il devra, de nouveau, choisir un camp. Poursuivi par son ancien officier qui veut le réintégrer de force dans son unité, Carter se retrouve mystérieusement transporté sur une étrange planète peuplée de créatures de trois mètres de haut et dotées de quatre bras. La planète Barsoom, plus connue chez nous sous le nom de Mars, est déchirée par une guerre entre deux peuples à laquelle le mariage de la princesse Dejah Thoris avec son puissant adversaire Sab Than devrait mettre fin…
L’arrivée fracassante de « John Carter » sur nos écrans entérine, à un siècle d’écart, l’alliance de plusieurs médias sous la férule du studio Disney. Mis en scène par Andrew Stanton, le film relate en pointillés l’étonnante rencontre entre l’œuvre du romancier américain Edgar Rice Burroughs (le papa de Tarzan), dont le premier volume du Cycle de Mars est paru en 1912, l’aboutissement technique atteint par les effets spéciaux numériques, et le jeu vidéo japonais type Final Fantasy – dont on retrouve l’esthétique rétro-futuriste, la narration fourre-tout et le rythme endiablé.
Si le précédent créé par « Avatar » – la réactivation par James Cameron de la fantasy à l’anglo-saxonne – est sans doute pour beaucoup dans l’existence de « John Carter », ce long-métrage onirique puise néanmoins ses racines dans un terreau plus vaste. La triple influence du cinéma de l’imaginaire à grand spectacle institué par « La Guerre des étoiles », du jeu vidéo d’immersion et du roman jeunesse fantastique irrigue le projet au moins de deux manières : par le processus de plongée dans un monde différent du nôtre, visant à exacerber les émotions et les dilemmes du quotidien ; et par une scène d’ouverture impressionnante, dont l’objet consiste à définir une imagerie très marquée (vaisseaux volants, armes futuristes, présence d’êtres spectraux, détention d’un pouvoir fabuleux) inscrivant au fer rouge dans l’esprit du spectateur la base d’enjeux encore sibyllins mais déjà fascinants. Le résultat, s’il n’est pas parfait, a du moins le grand mérite d’apporter une pierre nouvelle à l’édifice du cinéma de fantasy, jusque là malheureusement phagocyté par les insupportables adaptations de romans pour ados comme « Le Monde de Narnia » ou « La Boussole d’or ».
Pour l’occasion, Andrew Stanton, passé des bureaux de Pixar à ceux du grand-frère Mickey, et de l’animation aux prises de vues (presque) réelles, comme Brad Bird l’avait fait avant lui pour « Mission Impossible : Protocole fantôme », offre à sa narration autant qu’à sa caméra une liberté de ton et de mouvement que le cinéma hollywoodien récent avait, semble-t-il, oubliée. La présence de ce grand nom du cinéma d’animation au générique (Stanton a été aux commandes du « Monde de Nemo » et « Wall-E » pour Pixar) permet de nouer des liens par ailleurs évidents entre le travail visuel de « John Carter » et le style développé par le dessin animé depuis plusieurs années, entre action, humour et profondeur d’esprit ; il est d’autant plus légitime de tisser ces liens que le film a nécessité, après quatre mois de tournage en studios, presque deux ans de postproduction dédiés à la recréation des décors martiens, à partir des paysages désertiques de l’Utah. « John Carter » est pour ainsi dire une création visuelle presque totale dont une moitié des comédiens existe à l’écran par le biais de la motion capture – les grands Tharks étant tous interprétés par des acteurs de chair et de sang – et dont l’autre moitié a dû jouer sur fond vert.
On pouvait craindre d’assister à un joyeux désordre visuel et narratif, mais « John Carter » s’avère bien vite être un excellent dosage entre scènes d’action spectaculaires, descriptions quasi anthropologiques (sur les rites des Tharks notamment), bluette amoureuse entre Carter et Dejah, et pointes humoristiques intelligemment saupoudrées. L’origine même de Carter autorise les scénaristes (Andrew Stanton, Mark Andrews et Michael Chabon) à explorer des situations cocasses qui font parfois dévier le film vers la comédie loufoque : le Terrien, surpris par la gravité martienne bien moindre que sur sa planète, doit s’habituer à effectuer de petits pas pour ne pas faire des bonds de plusieurs dizaines de mètres ; les autochtones confondent d’abord son nom avec son État de naissance, la Virginie ; etc. La beauté des décors et la qualité des scènes d’action (en termes de découpage, de montage ou d’enjeux narratifs), la musique composée par Michael Giacchino, ainsi que le charisme indéniable des comédiens connus et moins connus confèrent à l’ensemble une aura particulièrement positive qui ajoute, au plaisir du divertissement, la sensation du travail bien fait.
Symboliquement, « John Carter » apporte également son lot d’analogies et d’allusions. En jouant habilement sur une première partie qui use des codes du western et en s’appuyant sur un ancien combattant de la guerre civile américaine, psychologiquement torturé parce qu’il refuse de devoir choisir son camp, le scénario transforme de facto l’action martienne en un prolongement astucieux des enjeux militaires tout ce qu’il y a de plus terriens : le conflit entre les Héliumites et les Zodangiens rejoue celui des Unionistes et des Confédérés dans l’Amérique du XIXe siècle, tandis que la relation sentimentale entre le héros et la princesse permet à Carter de substituer, à la perte tragique de sa famille, une passion nouvelle et un environnement social compensatoire où il trouve à mieux s’intégrer.
Enfin, le scénario a également la riche idée de débuter sur la matérialisation d’Edgar Rice Burroughs lui-même, en tant que jeune neveu du héros brutalement décédé ; en filant la métaphore d’un Burroughs ayant rédigé le Cycle de Mars à partir du journal de son cher oncle relatant ses folles péripéties, Stanton joue sur cette vision poétique d’une réalité si opulente qu’elle influe paradoxalement sur la création de la fiction. Une jolie conception qui achève d’intégrer « John Carter » à la catégorie trop rare de la fantasy pour adultes, c’est-à-dire à la fois subtile, puissante et onirique.
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